ESSAI SUR L'ISLE D’OTAHITI DANS LA MER DU SUD SUR L’ESPRIT ET LES MOEURS DE SES HABITANTS A AVIGNON Et Je trouve A PARis , Chez FrouLLÉ, Libraire, Pont Notre-Dame M. DCC. LXXIX C E Peuple ne' pour la Vertu, Que n’a-t-il le bonheur, Églé , de vous connaître ! Le vice en vous voyant paraître Serait pour jamais confondu ; La pudeur brillerait de fes grâces nouvelles; Vertueufes dès leur printems, Les femmes, comme vous, n’en feraient que plus belles* Et les maris moins inconÆans, îv AVERTISSEMENT. JL tE Peuple don on entreprend de décrire les moeurs SC les ujages, efl une des Nations des Indes plus intéreffante encore par la forme de fon adminiflration intérieure relativement à elle - meme , que par futilité qu elle peut procurer aux vues politiques de f Ce Peuple efl donc plus d'être confdéré ph que politiquement. La découverte de flfle y qui nef pas ancienne & la connaiffance de fes habit an s , fur l’ejprit & le caractère on n’a eu jufqu’à préfent que des notions fort obfcures , ne peuvent Avertissement, v procurer a la curque peu. de faits 3 qui ont exigé beaucoup de recherches SC d etude } par les difficultés qu d y a eu a fiirmonter pour s en affurer. Les Voyages autour du monde de Bank & Solander 3 de M, Cook > de M. Bougainville * les réflexions judicieufies de ces fiavans Navigateurs ; celles d'un autre ordre d'hommes non moins éclairés , ont fiervi ejfentiellement a la forme de cet Effai- Lopinion que nous avons nous-memes de leurs difier eus juge- mens 9 nous a fiait hasarder quelquefois d'ajouter nos fentimens aux fientïmens de ceux qui leur tems, leurs avantages , & qui facrifient meme la portion la plus ejjentielle de leur exiflence y pour a iij vj Avertissement. fe livrer à L’étude des , Nous ferons trop fortunés récit que nous faifons de leurs dijpofitions peut flatter la. lité d’une ejpèce d’hommes qui ejl au-dejfus de tout . vi 0J1 ^ ^ tOjil ff$i ^ ^ 05$ ܧ£ INTRODUCTION. Il ferait fatisfaifânt pour l’efpric humain, que la Philofophie s’exerçât à donner des notions exactes & circonftancie'es fur les moeurs, les ufâges, le caractère & l’efprit des Nations que nous nommons fàuvages, fur les moeurs & coutumes des Peuples civilités ; & qu elle formât par fuite de cette maflè de connaiflànces, un parallèle qui en démontrât la vartéte. Une pareille entreprité parvenue à fon terme de perfection, ferait peut-être , dans l’ordre moral, le maximum des connaiflànces humaines, d’après Ieiqueîles on pourrait entrevoir de certains rapports a iv vüj Introduction. entre les hommes , fixer fur un degré connu de leurs opinions, relativement à des objets far lelquels il y a eu tant de dif- culîions, qu'il eft prefque impof fible de rien déterminer. La découverte du Nouveau Monde, celles que les Navigateurs ont faites depuis cette époque , prêtent beaucoup à démontrer que les hommes (ont par-tout ce que le climat 8c l'opinion les rendent (a): bons ou médians, voilà (a) Cette Influence du climat & du loi fur Je ca^ raftêre & Telprit des Nations , eft palpable. On a ©bfervé que les Peuples qui habitent les montagnes Sc les pays couverts par les bois , font chalïeurs ; ils ont par conféquent les vices relatifs , la rapine & le vol : les habitans des plaines cultivées , dont la grande occupation eft le loin de la terre qui leur procure la vie ôc Taifànce , ont des palSons plus modérée» s Introduction, ix les deux extrêmes. Il efl un terme moyen, qui le rapproche infiniment de ces deux termes ; & c’eft peut-être celui qu’il convient le plus de luppolèr à tous les hommes. Formons une courte ana- lyle de l’homme fauvage & de l’homme civilile , & confidérons les différences d’après les réfui- tats. L’homme làuvage va nud , parce qu’il ne craint point les intempéries des failons, & qu’étant né libre , il ne porte rien qui lui alîigne aucune marque de l’elclavage : d’ailleurs lès mou- vemens acquérant dès l’enfance un degré de flexibilité qui s’ac- plus tranquilles. Cette différence eft manifefte, fil'o» Veut y réfléchir* X Introduction. croît en fàilànt ulàge de les membres , augmentent d’élafticité en proportion de lage qu’il acquiert, & de l’habitude d’agir. Sa nourriture eft infiniment fimple & frugale ; elle le borne le plus communément à des végétaux : l’ulàge des liqueurs Ipiritueulès lui étant inconnu , l’eau ôc le jus des fruits qui font la boifion la plus ordinaire, laillent Huer dans Ion làng une lymphe pure, qui répandant là limpidité bienfailânte lur le genre de les nerfs extrêmement forts quoique élalfiques, ajoute en même tems à la louplellè de lès membres & à la rapidité de fes mouvemens. Il eft lefte à la courfe , parce qu’il n’a jamais ete gêné par aucun lien qui pot- Introduction. xj tât obftacle à l’ufage libre de lès articulations. Sa force , qui eft extrême, prend (on origine dans la pureté de fon fmg , qui reçoit continuellement par la {implicite des alimens , une. fluidité fliflifante, qui eft eflèntielle aux diverles opérations du corps. L’e- xiftence phyfique de l'homme fau- vage influe nécessairement far fon exiftence morale. Il eft franc 8c fincère , parce qu’il ne connaît aucun fujet de feindre, d’où rélulte eflèntiellement l’extrême confiance. Ses pallions & fes dé- ftrs ne font pas exceflîfs j Ion tempérament modifie’ par diver- lés caufes, eft la caule de la modération. Il n’eft point vindicatif * ennemi de la haine & de xij ï N T R O D U C TI O N. ces pallions baffes qui ont de touc tems dégradé l’elprit des Nations où les Arts ont fait leurs trop rapides progrès , il a la colere & la vengeance du moment $ elles ne peuvent avoir de longues faites , parce que l’aétîon n’eft pas réfléchie. Satisfaire fes befains , ôc nètre point gêné dans fes habitudes , font les fauls biens qu’il cherche à fe confer- ver. Il fait défendre vie , propriété , fes biens , & ne cherche point à envahir ceux de fes famblables. C efl: ain/i que la . nature a fait 1 homme j content de fan fart parce qu’il n en connaît point de meilleur , il contemple , il admire fa bienfaitrice 3 3c n emploie point de Introduction, xiij vains efforts pour la rectifier. L’homme civilifé reçoit en naifTant lés premiers fîgnes d’un efclavage , qui s’appefantit par degrés autant fur fa maniéré d’exifter, que fur fa maniéré d’agir. Son enfance eft foumifè à une infinité de peines qui font inconnues à la nature , & que l’art a fait naître , pour le danger de l’exiftence même. Ses cris font l’expreffion de fes plaintes ^ mais comme il eft né pour la douleur , la fènfibilite , compagne de la nature, fèmble fc re- fufer à fes gémiflêmens, & toute la cruauté des hommes s’exerce fur fon être faible languiflant. Cet état de langueur qui fuie pas à pas les raomens de l’en» xvj Introduction. rend vi&ime de l’effet qu’il en attend. Il riy a que la ceflàtion des caufos phyfiques, qui ont ré- duit l’homme dans un pareil état, qui puifle l’en fouftraire, ou un effort de raifon , dont les réglés font gravées dans fon coeur, quand il veut les connaître & s y arrêter. Il acquiert alors ce degré de fenûbilité eflèntiel à toutes Tes actions ; il trouve en lui des armes propres à le défendre contre les atteintes du préjugé & des fléaux qu’il entraîne. Son bonheur s augmente en proportion des progrès qu’il dans fes réflexions fur ïabfurdité de fa première exiftence , & fur les biens quil doit attendre, en fo confor mant Introduction, xvjj mant aux loix fublimes de la rai- ion & de la nature. Ce tableau fommaire de Tetat phÿfique & moral des Peuples fauvages & des Peuples civilifês, conduit naturellement à conclure qu’il y a cette différence entr’eux*, que. les premiers font de petites Nations difperfoes , fur lefquelles l’opinion n’ayant aucun droit immédiat, elle ne peut y avoir une influence générale ^ au lieu que les Peuples civilifés font de grandes Nations^, qui, pouvant le réu* nir, peuvent former un tout d’intérêts & d’idées qui les rapproche des extrêmes que l’on a cités. Il refaite. donc de cette différence un enchaînement naturel de faits analogues &: relatifs qu’il forait b xviij Introduction. important de connaître j doù Ion peut tirer les Cônféquences fut vantes qui tiennent à le/prit politique dé routes les Nations. i°. Que les differens Peuples des Ides /ont plus portés à la liberté que les Peuples des cond- nens, parce que les Ides font ordinairement d’une petite étendue; une partie du Peuple ne peut pas être employée à opprimer 1 autre j là mer les leparant des grands Empires, la tyrahnic ne peut pas y prêter la main ; les conquérans étant arrête's par la mer, les Înfûîaires ne /ont pas enveloppés dans la Conquête, ils confervent plus aifcment leurs Loix. 2°- Que les Peuples des con* Introduction. xjx tinens font e/claves en railon in- ver/è de ce qui allure la liberté des Infiilaires, parce que ceux-là étant reunis ôc dominés par les memes Loix, ils ne peuvent le foti.ftraire aux aftcs de violence qu entraînent néceflàirement l’u- lurpation & la tyrannie ^ qu’ils lont accables par les forces réunies des conquêtes qui peuvent s etendre a 1 infini fans trouver le moindre obftaele, S'°. Que la çaule qui produit tant de fauvages dans, les Mes de 1 Amérique, eft, que la terre y produir d’elîe-même & {ans culture beaucoup de fruits dont on peut le nourrir. Si .ces Peuples cultivent autour de .leurs cabanes un eipace de terre, le Niais xx Introduction» vient aurti-tot ÿ la charte 6e la pêche libres achèvent dy mettre les hommes dans l'abondance. De plus , les animaux qui paif- lent y re'ufliflent mieux que les bêtes carnacieres. La différence qu’il y a entre ces climats 1 Europe, eft que , ft on lairtait en Europe les terres incultes , il n y viendrait que des forêts, des chênes, & d’autres arbres ftériles. Il eft vrai que les hommes , par leurs foins & par des loix relatives , y ont rendu la terre plus propre à devenir leur demeure r on voit des canaux ou étaient auparavant des marais des lacs -, c eft un bien que la nature n’a point fait, mais qui eft entretenu par elle. Introduction, xx) 4°. Qu en général, quand les Nations ne cultivent pas libre— jnent les terres, voici dans quelle proportion le nombre des hommes s’y trouve. Comme le produit d’un terrein inculte eft au produit d’un terrein cultivé j le nombre des Sauvages dans un pays eft au nombre des civililés dans un autre pays, félon la même fuite de proportions. Ceux-là ne peuvent donc pas former une grande Nation ( a 5°. Que par-tout ou la tem- (æ) L’on ne craint point de dire que la plus grande partie de ces quatre articles a puifde dans le Livre fublime de l’Efprit des Loix, a.infi que plaSears Notes que l’on verra dans la fuite de cet Ecrit. Ou peut on prendre de meilleures maximes, fi ce n’eft dans l’efprit de l’homme de gdnie qui les a fi mure- tuent fi long-tems réfléchies ? xxij Introduction. pérature de l’air eft égalé & douce, où la fertilité du loi répond à la douceur du climat , & le rend propre à recevoir & à nourrir toutes les plantes, tous les fruits viennent à une parfaite maturité'; les animaux fe multiplient, & leurs races fè perfectionnent j où la nature enfin ne s’eft pas bornée à enrichir la de la terre, & cache dans fes entrailles des trefors fans nombre. Un pays fl favorife de la nature paraît devoir être un établifTe- ment préféré, & l’objet particulier des principales vues des Peuples. Tant de caufès phyfïques réunies doivent nécefîàirement influer fur 1 ordre moral, & devenir Introduction, xxüj fefquiflè dun lyftéme qui doic être généralement adopté par tous les hommes. Car en efl des événemens comme de toutes les choies humaines : ceux qu on a long - tems attendu , fe font d autant plus defirer . & les im- prelhons qu’ils produiient , font d’autant plus lênfibles. ' Dans l’état aéïuel des choies, fi la plupart des Nations anciennement làuvages fè font rendues a 1 empire de la civililation, c’efl au commerce Ôcà politique réunie des hommes civilités à qui il appartient d’opérer la révolution générale ôc tant dé/îrée, Ôc a qui l’efprit humain devra un jour lallociation libre, entière & parfaite de tous les hommes. Que xxiv Introduction. fî , dans leurs ufiges , leurs moeurs, dans leurs Loix memes, toutes les Nations du monde connu nont pas des affinités ge'omë- tricjuement exactes , il régnera du moins entr’elles une harmonie qui doit déterminer l’avantage & le bonheur de l’efpece humaine. ESSAI i nom* A plupart des Navigateurs, 0pinïon entr’autres le Capitaine Cook, fur Ja dé~ » , . -, r \t couverte de Anglais, dans Ion Voyage au- rifle d'Oca- tour du monde en 1772, 177 i77*.rô£nc& ^ & 177 J , attribuent la découverte de cette Ille à Quiros, qui, appareillant de Lima au Pérou en ido> , l’apperçut le premier le 1 o Février x 606,& lui donna le nom de Sagittaria (a). Le Capitaine Wallis l’a nommée /7/7e d (a) Cook, t. I, p. 198. Abrégé des Voyages & des De'cotm dans la xner du Sud, pa* M. d’Alrymple, t. h A 2 Essai Le Capitaine Cook, dans fon premier Voyage, a donné à cette Ifle le nom d 'Otahdtè.M. Forfter , qui a fait le même voyage, dit qu’on doit Fappeller Otahiti. M. Bougainville dans fon autour du monde, femble s’accorder particuliérement avec ce dernier ( ). D’où l’on peut conclure , d’après les témoignages des Naturels même , que cette Ifle peut être appellée car Otahdtè j qui eft l’exprelllon An- Sa grandeur Otahiti font fynonimes. & fa fuua- d’Otahiti n’a pas moins de 40 lieues de non. . 1 * circonférence , & fon plus grand diamètre eft d’environ iy lieues Elle eft limée dans le Tropique du Capricorne, & la longitude eft de 150 A ^0' 17" à : l’Ouçft de Paris (c). M. Bougain- Nombredes r . b habitans. ville ne fait monter le nombre de fes habitans qu’à 70,000 ; mais il peut être (tf) Note du Trad. Cook, t. I , p. vji {h) Bougainville , t, III, p. 62. (c) Bougainv. t. II , p. 65. SUR l'Isiè d'O 5 évalué fur un calcul allez jufte, fait par M. Cook , d’après l’armement d’une flotte dont on verra la defcription admettant,dit-il, que chaque Diflricl de H fie, ( il y en a4,0) arme le même nombre de pirogues que celles dont on verra le nombre, on trouvera que 1*1 fie peut - per 1720 pirogues de guerre , & 8,000 hommes , à40 pour chaque bâtiment. Et comme les guerriers ne peuvent pas prendre plus du tiers de la population des deux fexes , y compris les enfans , toute il fie doit contenir au moins 24,0,000 nombre qui paroit incroyable au premier moment s mais quand on réfléchit à ces ejfains de Taïtiens qu’on rencontre par-tout où. ion fe trouve, on refie convaincu que cette évaluation n’efl pas trop forte. Rien ne prouve mieux la fertilité & la richejfe du pays, qui ri a que 40 lieues de tour (a). Otahiti, qui offre de loin une perf pe&ive agréable , ôc dont la beauté fe “ 4 Essai développe à fon approche, devient plus enchantereffe à meftire qu’on fait des excurfions fur la plaine. L’Ifle eft environnée par un récif de rochers de corail 9 qui forme des baies ôc des ports excellens. Le mouillage eft affez vafte, & l’eau eft affez profonde pour contenir un grand nombre de gros vaiffeaux. Excepté la partie qui borde la mer^ la furface du pays eft très-inégale : elle s’élève en hauteurs qui traverfent le milieu de l’Ifle, ôc y forme des montagnes affez élévées. Entre le pied de ces montagnes ôc la mer , il y a une bordure de terre baffe, qui environne pref- que toute l’Ifle, Ôc il y a peu d’endroits où les hauteurs aboutiffent directement fur les côtes de l’Océan. Sur le fommet des montagnes, le fol eft par-tout extrêmement riche ôc fertile , arrofé par un grand nombre de ruiffeaux d’une eau excellente , ôc couverts d’arbres fruitiers de diverfes efpeces, ôc en ft grande quantité }qu’ils forment SUR L* î SLR H JT il $ continu. Quoique la cime des montagnes fôit en général ftérile & brûlée par le foleil , la terre y donne cependant des productions en plulîeurs endroits. Les vallées & la terre baffe font les feules parties de fille qui foient habitées ( a). Le principal havre où mouillent les vaiffeaux, eft très-petit. La plaine de ce côté au pied des collines étant affez reff ferrée j préfente l’image de la fertilité, de l’abondance & du bonheur. Elle fe partage entre les collines, & forme une longue vallée étroite, couverte de plantations entremêlées de maifons. Les pentes des collines revêtues de bois, fe coupent les unes & les autres des deux côtés, & derrière la vallée on apper- coit les montagnes de l’intérieur du pays féparées en différens pics, & une pointe remarquable ( , dont le . ______ ____________ (a) Relat. de Cook, Bank & Soland. t. Il, p. 4+4. (b) Pointe de Vénus. j 6 Essai fommet courbé d’une maniéré effrayante , femble à chaque' inftant fur le point de tomber. La férénité du ciel, la douce chaleur de l’air, la beauté du payfage, tout amufe & enchante l’imagination, & infpire la gaieté (a). L’hiver ne refroidit pas l’air, comme dans les climats éloignés du Tropique; c’eft cependant le tems ou là végétation recrée les fucs qui ont formé la derniers récolte ,& en amaffe de nouveaux. Plufieurs plantes dépofent alors leurs feuilles ; quelques-unes meurent jufqu a la racine; les autres fe defféchent, parce qu’elles font privées de la pluie. Il ne pleut plus dans ce tems, parce que le foleil eft dans un hémilphere oppofé. Un brun pâle & fombre couvre toutes les plaines ; les montagnes élevées con- fervent feulement des teintes un peu plus brillantes dans leurs forêts humectées par les brouillards qui pendent fur (a) Cook, t. I * P- SURl’IsLE J leurs cimes. Les Naturels tirent de ces forêts une grande quantité de plantains fauvages Vahèe., & cette herbe parfumée E-ahaï, avec laquelle ils donnent à leur huile de noix de cocos une odeur très-fuave. Le délabrement où fort Voit le fommet des montagnes , femble avoir été caufé par un tremblement de terre; & les laves qui com- pofent la plupart des rochers, & dont les Infùlaires font plufieurs outils, prouvent qu’il y a eu autrefois un volcan fur cette Ifle. Le riche fol des plaines, qui eil un terreau végétal, mêlé de débris de volcans ôt de fable de fer noir qu’on trouve fouvent aux pieds des collines, confirment cette affertion. Les allées extérieures des collines, qui font quelquefois extrêmement fiériles , contiennent beaucoup de glaizes jaunâtres , mêlées avec de la terre ferrugineufe ; mais les autres font couvertes de terreau , & boifées comme les plus hautes montagnes : on y rencontre des mor- A iv 8 Essai ce aux de quartp. Les cependant rien vu qui indiquât des minéraux précieux , ou des métaux d’aucune efpece, excepté le fer, qui même eft en petite quantité dans les terres qu on y ramaffe. L’intérieur des montagnes cache peut-être des mines de fer afTez riches pour être fondues. Quant aux morceaux de fer qu’un Voyageur a dit être une production de Taïti, il eft permis de révoquer en doute ce fait, puifque le faîpêtre natif n’a jamais été trouvé en malfe folide (a). Defcrîption Les Naturels appellent Toooa-oroo deMaiavaï.ncu de cette Ille qui prélente une vallée délicieule, perpétuellement animée parla pureté du ciel & de l’athmof- phere. On y voit par-tout des plantations fort étendues & en bon ordre, & des habitations conftruites en plu- lîeurs endroits. On y apperçoit les Naturels travaillant à la conftruOion des («) Cook, t. P. î4g. sur l'Isle n'Otahiti. $ pirogues. Toute cette contrée annonce l’abondance & le bonheur : des troupeaux de cochons , qui eft l’animal le plus commun dans ce pays, rodent autour de chaque cabane. On ne paffe jamais devant une hutte fans que les habitans n’y invitent les voyageurs d’entrer & de prendre des rafraîchiffemens : on ne peut fe défendre de leur invitation , & ne pas être touché de leur civilité naïve. En avançant environ à un mille, la colline, fur le côté oriental, offre une coupe perpendiculaire de 40 verges de hauteur , dont le delfus formant une inclinaifon, eft revêtu d’ar- briffeaux jufqu’à une élévation confidé- rable. Une belle cafcade tombe perpétuellement de cette partie feftonnée dans la riviere , & anime la fcene, qui d’ailleurs eft trifte & fauvage, mais pittorefque. En avançant davantage , on obferve que plufieurs angles de ce rocher perpendiculaire fe projettent en faillies $ & lorfqu’on a marché dan* Hiftoire naturelle. lo Ë S S A l’eau pour arriver au pied, on le trouve compofé de colonnes réelles d’un bal- atenoir & compaét, dont les Naturels font des outils. Ces colonnes font debout, parallèles & jointes l’une à l’autre ; leur diamètre ne femble pas excéder i y ou i 6pouces ; on qu’un ou deux angles qui foient faillans. Comme tous les Naturalises fuppofent que le bâlzate eft une production de volcans c’eft une nouvelle preuve que Taïti a éprouvé beaucoup de bouleverfemens par faction des feux fouterreins , où la nature a un laboratoire immenfe 3 propre aux opérations de la chymie les plus étonnantes («). Quoi qu’il en fait, il paraît prefque certain qu’il n’y a point de mines; les habitans n’ont aucune idée des métaux (b). Pour fùivre littéralement la defcrip- tion de fille d’Otahiti, il faut cônfidé- (a) CooJc, t. Il, p. Relat. de Forft, (b) Bougainv. t. II, p. 71. SUR L’IsLE Z> Il rer les différentes eipeces de productions & leurs ulàges. On trouve dans une des premières vallées â’Opparrée un arbre fuperbe, qu’un voyageur a nommé Baringtonia. Il y a une grande abondance de fleurs plus larges que des lis , & parfaitement blanches, excepté la pointe de leurs nombreux filets, qui eff d’un cramoifl billant. Les Naturels, qui donnent à l’arbre le nom d , affurent de la meilleure foi du monde, que fi on brife le fruit qui eft une grolfe noix, & qu’après l’avoir mêlé avec des poiflons à coquilles, on le répande fur la mer, il enchante & enivre les poif- fons pendant quelque tems, de maniéré qu’ils viennent à la furface de l’eau, & qu’ils fe laiffent prendre à la main. Il eft à remarquer que diverfes plantes maritimes des climatsdu Tropique ont cette flnguliere propriété (a). Les palmiers de ce pays s’élèvent au-deflus des autres (a) Cook, 1.1, p. 380. 12 Essai arbres 5 les B ananiers déploient leurs feuillages , & on apperçoit quelques Bananes bonnes à manger. D’autres arbres couverts d’un verd fombre, portent des pommes d’or, qui par le jus & *a ^aveur j reflemblent à Y Ananas. Les efpaces intermédiaires font remplis de petits mûriers dont les Xnlulaires emploient l’écorce à fabriquer des étoffes de différentes efpeces d ou deddées , dignamn, de cannes de fucre, àcc. (a). Il y a dans Ville une quantité de ces dernieres produftions dont les Naturels ne font d’autres ufages que de les mâcher, & même cela ne leur arrive pas habituellement. Ils en rompent feulement un morceau lorfqu’ils pafTent par hazard dans les lieux où croît cette plante, (b). Les cabanes des Naturels, placées à l’ombre des arbres fruitiers, font affez éloignées les unes des autres, (a) Cook, t. I, p, (b) Bank & Soland. t. II, p. xjg. S U R L’î S LE D’O TA HJ êc entourées d’arbrilfeaux odorans, tel® que le Gardénia, la Guettarda , & le Calophyllutn. On eft autant charmé de la fimplicité élégante de leur ftruélure que de la beauté naturelle des bocages qui les environnent. Les longues feuilles du Pandang ou palmier fervent de couverture à ces édifices foutenus par des colonnes d’arbres . à pain. Comme un fimple toit luffit pour mettre les habitans à l’abri des pluies & des rofées de la nuit, & que le climat de cette Ifle eft peut-être un des plus délicieux de la terre, les maifons font ouvertes dans les cotés ; quelques-unes cependant deftinées aux opérations fecretes, font entièrement fermées avec des Bam- ioux réunis par des pièces tranfverfales de bois , de maniéré à donner l’idée d’une vaftecage; celles-là ont communément un trou par où l’on entre, ce trou eft fermé par une planche. On oblerve devant chaque hutte, des group- pes d’habjtans couchés pu aflis comme 14 Essai les Orientaux, c’elt-à-dire, accroupis fur un gazon ou fur une herbe féche, & paflant ainfi des momens fortunés dans la conyerfation ou dans le repos. Lorfque des étrangers viennent à eux, les uns fe lèvent & fe joignent à la foule qui ne manque pas de fuivre ; mais ceux d’un âge mûr relient dans la même attitude, fe contentant de crier Tayo, qui ell le terme de civilité lorf- qu’on pâlie près d eux. Une variété con. fidérable de plantes fauvages s’apperçoit au milieu des plantations, dans ce beau défordre de la nature qui ell li admirable , & qui furpalfe infiniment la fym- metrie des jardins les plus réguliers. On y trouve plufieurs herbes, qui , quoique plus rares dans les pays du nord, cependant en croifiant toujours à l’ombre, femblent fraîchir & former des lits de verdure d’une extrême mo- lelfe. Il y a d ailleurs allez d’humidité dans le fol pour nourrir les arbres. De petits oifeaux remplilTent les bocages j SUR L’IsLE n’ O TAHITI. I leur chant eft très-agréable, quoiqu’on dife communément en Europe que les oifeaux des climats chauds font privés du talent de l’harmonie. De très-petits péroquets d’un joli bleu de faphir habitent la cime des cocotiers les plus élevés , tandis que d’autres d’une couleur verdâtre & tachetés de rouge, fe montrent ordinairement parmi les bananes & fouvent dans les habitations des Naturels qui les apprivoifent & qui eftiment beaucoup leurs plumes rouges. Le tin-pêcheur d’un verd fombre avec un collier de la même couleur fur fon col blanc, le gros coucou, & plufieurs fortes de pigeons & de tourterelles , fe juchent d’une branche à l’autre, tandis que le héron bleuâtre fe promène gravement fur les bords de la mer , mangeant des poi/Tons à coquilles ôc des vers. De beaux ruilfeaux qui roulent leurs ondes argentées fur des lits de cailloux, defcendent des vallées étroites, ôc à leur embouchure dans la i6 Essai mer offrent leurs eaux aux voyageurs qui enontbefoin ( a).Ilyavoit en 1758 à Otahiti une grande quantité de volailles & de cochons. La chair de ces derniers n’a rien de cette faveur fade qui fait qu’on s’en dégoûte fitôt en Europe , quand il n’eft pas falé. On peut comparer la graiffe des cochons d’Otahiti à la moelle , Ôc le maigre a prefque le goût du veau. Les végétaux que mangent cette forte de cochons , fèmblent être la caufe principale de cette différence ; ils peuvent même avoir influé fur l’inftinêl naturel de ces animaux. Ils font de cette petite' race qu’on nomme communément chinoife, ils n’ont pas ces oreilles pendantes , caraêtere de l’efclavage, fuivant M. de Buffon. Il font aufli infiniment plus propres que les cochons d’Europe, & ils ne paroifTent pas fuivre le fale ufage de fe vautrer dans la fange. Il eft cer- («) Çook, t. i, p. 315. tain SUR ÜÎSLE & 17 tain que ces animaux font partie des ri- cheffes réelles des Otahitiens. On en voit un grand nombre, quoique les Naturels aient grand foin de les cacher aux étrangers. Cependant l’extirpation entière de cette race ne leur cauferait pas une grande perte, d’autant qu’acluelle- ment ils font devenus un objet de luxe qui appartient aux Chefs de la Nation. En général, ils ne tuent des cochons que très-rarement, ou dans certaines occafions folemnelles ; mais alors les Chefs mangent du porc avec toute la gloutonnerie & la voracité qu’un gourmand d’Europe mangerait des ortolans. Le peuple en mange à peine quelques morceaux, quoiqu’il ait toute la peine de les nourrir & de les engraiffer. On peut attribuer à deux caufes la rareté des cochons à Otahiti, d’abord à la quantité qu’on en a confommée, & à celle qu’en ont emportée les Vaifleaux qui y relâchent, ôc enfuite aux guerres fréquentes que fe font les deux Royau- B "7 Essai mes. On en connaît deux depuis 1767 jufqu’en 1773. La paix régné actuellement entre les deux péninfules , mais les Indiens ne femblênt pas avoir beaucoup d’animé les uns pour les autres ( a). Le peu d’étendue de l’Ifle & fon vafte éloignement du continent oriental ou du continent oueft , ne comporte pas une grande variété d’animaux ; on n’y voit en quadrupèdes que des cochons, des chiens domeftiques, & des quantités incroyables de rats, que les Naturels laiffent courir en liberté fans jamais eflayer de les détruire. Il y a allez d’oi- feaux j allez de pouffons , parce que cette clalfe d’animaux parcourt plus aifément une partie de l’Océan à l’autre , & lur-tout dans la Zone torride, où certaines elpeces font communes autour du monde (b). Deux ou trois arbres à pain qui croiffent prefque fans (a) Cook , t. T , p. 45 z. ib) Cook j t 1, p. 31 z. SUR L'IsLË ip culture , Sx qui fubfiftent plus long-tems que la vie d’un homme, fourniffent à chaque particulier une nourriture fraîche & abondante les trois quarts de 1 année ; ils en font fermenter, & ils en confervent pour les trois autres mois. Les plantes qui à Otahitï exigent le plus de foins, comme les choux & les racines d’Eddo , en exigent beaucoup moins que les Végétaux de nos jardins. On plapte un arbre à pain, en détachant une de les branches qu’on enfonce en terre à une moyenne profondeur. La banane, dont la riche grappe femble au poids trop pefante pour une tige herbacée, fe reproduit du pied de la racine. Le palmier royal, qui ell tout-à-la-fois 1 ornement de la plaine & d’une extrême utilité aux habitans, la pomme dor & beaucoup d’autres fruits, y viennent en fi grande abondance & avec fi peu de peine, quon peut les appeller fponta- nés (a). (a) Cook, tP. 36c, 20 Essai Stru&nre Les habitans d’Otahiti font grands, fans :hîeur bien faits , agiles, difpos, Ôt d’une figure figure.’leUI agréable. La taille des hommes en général eft de $ pieds 7 ,à 10 pouces ; il y en a peu qui foient plus petits, ou d’une taille plus haute : celle des femmes, de p pieds 6 pouces. Le teint des hommes eft bazané , ôc ceux, qui vont fur l’eau font beaucotfp plus bronzés que ceux qui relient toujours à terre, ainlî que dans nos climats., Leurs cheveux font ordinairement noirs, & quel quefois bruns, rouges ou blonds, ce qui eft digne de remarque , puifquetous les cheveux de tous les Naturels d’Afie, d’Afrique ôt d’Amérique font noirs fans exception. Ils les nouent dans une feule touffe fur le milieu de la tête, ou les divifent en deux parties ; d’autres cependant les laiffent flottans- , ôt alors ils frifent avec beaucoup de roideur : les enfans des deux fexes les ont ordinairement blonds. Leurs cheveux font arrangés très - proprement ; quoiqu’ils ne 21 SUR L’IsLE Z eonnoiffent pas Triage de le peigner , ceux à qui on donne des peignes , fa“ vent très-bien s’en fervir. C’eft un ufage parmi eux de s’oindre la tête avec une huile de cocôs, dans laquelle ils infu- fent la poudre d’une racine qui a une odeur approchante de celle de la rofe. Toutes les femmes font jolies , & quelques- unes d’une très-grande beauté relativement à nos climats (a). Il eft naturel de penfer que le climat ôt fes pro- duêtions contribuent à l’égard des hommes à la fouplelfe plutôt qu’à la force de leur corps ; ôt à regard des femmes, à l’élégance de leurs formes. Les hommes ont les traits de la douceur, & leur yifage ne porte point l’empreinte des pallions ; leurs grands yeux, leurs four- cils arqués, & leur front élevé, donnent de. la noblelfe à leur tête qu’ornent d’ailleurs une barbe fournie êé de beaux cheveux. Quelques Navigateurs ont dit {a) Bank & Soland. t. II, p. 150. B ii j ao Essai Structure Les habitans d Otahiti font grands, Ss /tir bien faits , agiles, difpos, & d’une figure corps, leur agr{table. La taille des hommes en gé- figure. o % M néral eft de 5 pieds 7 ,a 10 pouces; il y en a peu qui foient plus petits, ou d’une taille plus haute : celle des femmes , de $* pieds 6 pouces. Le teint des hommes eft bazané , & ceux qui vont fur l’eau font beaucovfp plus bronzés que ceux qui reftent toujours à terre, ainfi que dans nos climats. Leurs cheveux font ordinairement noirs, & quel quefois bruns , rouges ou blonds, ce qui eft digne de remarque , puifquetous les cheveux de tous les Naturels d’Afie, d’Afrique & d’Amérique font noirs fans exception. Ils les nouent dans une feule touffe fur le milieu de la tête, ou les divifent en deux parties ; d’autres ce' pendant les laiffent flottans , & alors ih frifent avec beaucoup de roideur : -£: enfans des deux fexes les ont ordinal* rement blonds. Leurs cheveux font arrangés très - proprement ; quoiquib115 21 SUR L’IsLE D eonnoiffent pas Tufage de peigner , ceux à qui on donne des peignes, fa* vent très-bien s’en fervir. C’eft un ulàge parmi eux de s’oindre la tête avec une huile de coco's, dans laquelle ils infii- fent la poudre d’une racine qui a une odeur approchante de celle de la rofe. Toutes les femmes font jolies , & quelques- unes d’une très-grande beauté relativement à nos climats (a). Il eft naturel de penfer que le climat ôc fe s produirions contribuent à l’égard des hommes à la foupleffe plutôt qu’à la force de leur corps ; ôc à l'égard des femmes, à l’élégance de leurs formes. Les hommes ont les traits de la douceur, ôc leur yifage ne porte point l’empreinte des pallions ; leurs grands yeux, leurs four- cils arqués, & leur front élevé, donnent de. la noblelfe à leur tête qu’ornent d’ailleurs une barbe fournie 6c de beaux cheveux. Quelques Navigateurs ont dit (a) Bank & Soland. t. II, p. 150. B ii j 3 a Essai que les Taïtiens s’arrachent les poils de la levre fupérieure , de la poitrine & des aiflelles : mais cette coutume n’eft pas générale ; les Chefs, & en particulier le Roi lui-même , confervent leurs mouftaches (a), le C’eft un ufage univerfel parmi les ‘ hommes & les femmes , de fe peindre les feffes ôc le derrière des cuifles avec des lignes noires très - ferrées , & qui repréfentent diverfes figures. Ils fe piquent la peau avec la dent d’un infiniment allez reffemblant à un peigne j ils mettent dans les trous une elpece de (a) Cook , tom. II , p, 560. Les peuples qui ne cultivent point les terres, n'ont pas même l’idée du luxe. Qu’on fe reffouvieniie de l’admirable limplicité des Germains > les arts ne travaillaient point leurs ornemens , ils les trouvaient dans la nature. Si la famille de leur Chef devait être remarquée par quelque ligne, c’était dans cette même nature qu’ils devaient le chercher : les Rois des Francs, des Bourguignons & des Vifîgoths , avaient pour diadème leur longue chevelure. (Montel^. Efp* desLoity tom. I, p, 401, J SUR L’lsLE D> O TA 2? pâte compofée d’huile & de fuie, qui laiffe une tache ineffaçable. Les petits garçons & les petites filles au-deffous de douze ans, ne portent point ces marques. Il y a quelques hommes qui fe piquent les jambes en échiquier de la même maniéré ; ceux-là ont un rang diftingué & une autorité fur les autres Inlulaires (a). La plus grande partie des Infulaires, Manière parmi les jeunes gens , l'ont abfolument kr. nuds. L’habillement des hommes & des femmes a affez bonne grâce , & leur lied fort bien : il eft fait d’une efpece d’étoffe blanche que leur fournit l’écorce d’un arbufte, & qui reffemble beaucoup au gros papier de la Chine. Deux pièces de cette étoffe forment leur vêtement ; l’une qui a un trou au milieu pour y paffer la tête, pend depuis les épaules jufqu’à mi-jambes devant ôc der- (a) Baok ôc Soland. t. II, p. 150. Biv ¦ a,* Essai riere j l’autre a 4 ou J verges de lonJ gueur, & environ une de largeur : iis l’enveloppent autour de leur corps fans la ferrer. Cette étoffe n’eft point tiffue, elle eft fabriquée , comme le papier, avec les fibres ligneufes d’une écorce intérieure qu’on a fait macérer , & qu’on a enfuite étendues & battues les unes fur les autres. Les plumes , les fleurs, les coquillages & les perles font partie de leurs ornemens ôc de leur parure; ce font les femmes fur-tout qui portent les perles j elles font d’une couleur allez brillante , maïs elles font toutes écaillées par les trous qu’on y fait. Les femmes , pour leur commodité , arrangent de plufieurs maniérés différentes, fui- vant leurs talens ôc leur goût, la Ample draperie d’une longue étoffe blanche. Il n’ÿ a point parmi elles de modes qui les affujettiffent, par opinion , à fe défigurer comme en Europe : une grâce naturelle accompagne leur fimplicité(æ)» (c) Bank ôc Soland, t. II, p. j 50. SUR L’IsLE D Les habits de deuil, compofés des productions les plus rares de l’IHe & de la mer qui Tenvironne, ôc travaillés avec un foin ôc une adrelfe extrêmes - doivent être parmi eux d’une prix con- fidérable. Cet ajuftement remarquable par fa bifarrerie, confifte en une planche légère d’une forme demi-circulaire d’environ 2 pieds de long, ôc de 4 à 5 pouces de large. Cette planche eft garnie de cinq coquilles de nacre de perles choifies, attachées à des cordons de bourre de cocos, paffés dans les bords des coquilles ôc dans plufieurs trous dont le bois eft percé : une autre coquille de la même elpece , mais plus grande, feftonnée de plumes de pigeons gris-bleu, eft placée à chaque extrémité de cette planche, dont le bord concave, eft tourné en haut. Au milieu de la partie concave , il y a deux coquilles qui forment enfemble un cercle d’environ 6 pouces de diamètre , ôc au fommet de ces coquilles, il y a un très-grand Habits de .euil. 7 z6 Essai morceau de nacre de perle oblong, s’é- largiffant un peu vers l’extrémité fupé- rieure j & de 9 s 10 pouces de hauteur. De longues plumes blanches de la queue des oifeaux du Tropique, forment autour un centre rayonnant. Du bord convexe de la planche , pend un tiffu de petits morceaux de nacre de perle , qui par l’étendue & la forme reffemble à un tablier ; on y compte 10 ou 1 y rangs de pièces d’environ 1 pouce { de long, & fa de pouce de large ; chacune eft trouée aux deux extrémités , afin de pouvoir fe pofer fur d’autres rangs. Les rangées font parfaitement droites , ôc parallèles entr’elles ; les fu- périeures coupées & extrêmement courtes , à caufe du demi-cercle de la planche ; les inférieures font aufïi communément plus étroites, & aux extrémités de chacune eft fufpendu un cordon orné de coquillages, & quelquefois de grains de verre d’Europe. Du haut de la planche , flotte un gland ou une queue ronde SUR L’IsLE D 27 de plumes vertes & jaunes fur chaque côté du tablier, ce qui eft la partie la plus brillante du vêtement. Toute cetté parure tient à une groffe corde attachée autour de la tête du pleureur. L/ajugement tombe perpendiculairement devant lui. Le tablier cache fa poitrine & fon eftomac ; la planche couvre fon col ôc , fes épaules, & les deux premières coquilles mafquent le vifage. Une de ces coquilles eft percée d’un petit trou , à travers lequel celui qui la porte regarde pour fe conduire. La coquille fupérieure & les longues plumes dont elle eft entourée s’étendent à au moins 2 pieds au-delà de la hauteur naturelle de l’homme ; le refte de l’habit n’eft pas moins remarquable. Le pleureur met d’abord le vêtement ordinaire du pays, c’eft-à- dire, une natte, ou une piece d’étoffe trouée au milieu , comme il a été dit ; il place defîus une fécondé piece de la même elpèce, mais dont la partie de devant, qui retombe prefque jufqu’aux ¦te'gf E s s a ï pieds y eft garnie de boutons de coques de noix de cocos. Une corde d’étoffe brune ôc blanche attache ce vêtement autour de la ceinture. Un large manteau de rézeau entouré de grandes plumes bleuâtres couvre tout le dos , & un turban d’étoffes brunes ôc jaunes, retenues par de petites cordes brunes & blanches , eft placé fur la tête. Un ample chaperon de rayures d’étoffes parallèles , ôc alternativement brunes , jaunes 6c blanches , defcend du turban lur le col ôc fur les épaules, afin qu’on ne voie de la figure humaine que le moins pofïible. Ordinairement le plus proche parent du mort porte cet habillement bifarre. Il tient dans une main deux grandes coquilles perlieres , avec lefquelles il produit un fon continu, ôc dans l’autre un bâton armé de dents de goulu, dont il frappe tous les Naturels qui s’approchent par hazard de lui. On n a jamais pu découvrir quelle a été 1 origine de cette finguliere coutume ; sur l’Isle d’Otahiti. mais il femble qu’elle eft deftinée à infr pirer de l’horreur ; & l’ajuftement bi- farre qu’on vient de décrire, ayant cette forme effrayante & extraordinaire que les femmes attribuent aux efprits & aux fantômes , on eft tenté de croire qu’il y a quelque fuperftition cachée fous cet ufage funéraire. Peut-être imaginent-ils que lame du mort exige un tribut d’af- fliclion & de larmes, ôc c’eft pour cela qu’ils appliquent à ceux qu’ils rencontrent des coups de dent de goulu. accompliraient mieux cette maxime, s’ils s’en frappaient eux-mêmes (a). C’eft un ufage de diftinêtion parmi les Otahitiens que de porter les ongles £eg des doigts fort longs, parce que pour Ws- les laiifer croître de cette longueur, il ne faut pas être obligé de travailler. Les Chinois ont la même coutume. Cet ufage fingulier eft répandu chez beaucoup d’autres Nations. Les premiers (a) Cook , t, U, Relat, de Foreft, p, 31 5o Essai .Voyageurs ont rapporté cette finguliere coutume, mais iis n’en donnent pas la caufe. M. de Meunier en trouve le motif dans l’exemple des Efpagnols, qui ont l’ongle de l’index Ôt du petit doigt fort longs, afin de s’écurer les oreilles & de pincer de la guittare : d’où il tire la conféquence que les Otahitiens ont peut-être adopté le même ufage pour jouer de quelque inftrument (a). Mais on verra par la fuite, par la deicription de leurs inftrumens, & par la maniéré dont ils s’en fervent, que leurs ongles font fuperflus pour cet ufage. ticuiier^re- Les Infulaires ont l’habitude de faluer îanf à leur ceux qUi éternuent, en leur difant: roua-t-Eatoua , que le bon Eatoua te réveille , ou bien que le mauvais Eatoua ne t’endorme pas. Voilà des termes d’une origine commune avec les Nations de l’ancien Continent (b). (a) Efp. des ufages des diffc'rens Peuples , r. II , p. 201. (*)Boug. t. II, p. S{. SUR L’IsLE Les Naturels fabriquent leurs étoffes en battant l’écorce fibreufe du mûrier. Ils fe fervent pour cela d’un morceau de bois quarré, qui a des filions longitudinaux ôc parallèles, plus ou moins ferrés fuivant les différens côtés. Ils le fervent de maillet pour battre, ôc d’une poutre au lieu de table ; ils mettent dans une gouffe de noix de cocos une elpece d’eau glutineufe, dont ils fe fer* vent de tems à autre pour coller en- femble les pièces de l’écorce. Cette colle , qui vient de Vhibicus , eft abfolument effentielle dans la fabrique de ces immenfes pièces d’étoffes, qui ayant quelquefois deux ou trois verges de large, ôc yo de long, font corn- pofées de petits morceaux d’écorce d’ar* bres d’une très-petite épaiffeur. En examinant avec foin leurs plantations de mûriers , on n’en trouve jamais un feul de vieux ; dès qu’ils ont deux ans , on les abat, ôc de nouveaux s’élèvent de fa racine : car il n’y a pas d’arbre qui Travaux, fabrication des étoffes. Travaux. Eclufes. 32 Essai fe multiplie davantage j & fi on le la if- fait croître jufqu’à ce qu’il fût en fleurs, ôc qu’il pût porter des fruits , peut-être couvrirait-il bientôt le pays. Il faut tou- jours enlever l’écorce des jeunes arbres. Gn a foin que leur tige devienne longue fans aucunes branches , excepté feulement au fommet ; de forte que 1’écorce eft la plus entière poflible. Les femmes occupées du travail qu’on vient de décrire, portent de vieux vêtemens déguenillés & fort laies , ôc leurs mains accoutumées à ces fortes de travaux allez pénibles pour un fexe faible, font très-dures ôc très-calleufes (a). Il y a des vallées dans l’Ifle aflfez fertiles , où des ruifleaux en coulant fuient vers la mer. Les Naturels y ont conf- truit plufieurs fortes d’éclufes , afin d’élever l’eau, & de la conduire dans leurs plantations de Tarro arcum efculentum, qui exige un fol très-humide, Ôc quelquefois inondé (b). (a) Cook , t.I , p. 319. (b) Cook, t. I, p. 374, Les S UR lIsLE JD9 O TAHITI, ^ Les pirogues de ces peuples font de co.toc- i rentes elpeces. Quelques-unes font tion des pi- composes d’un feu1 arbre, & portent Leurre, de deux à hx hommes ; ils s’en fervent fur-tout pour la pêche. D’autres font conftruites de planches jointes enfemble très-adroitement ; elles font plus ou moins grandes, & portent de dix à quarante hommes. Ordinairement ils en attachent deux enfemble, & entre l’une & 1 autre ils drelfent un mât, & quelquefois deux. Les pirogues /impies n’ont qu’un mât au milieu du bâtiment, & un balancier fur un des côtés. Avec ces navires , ils font voile bien avant dans la mer , & probablement jufques dans d’autres Illes, dont ils rapportent des fruits du plane , des , des ignames, qui femblent y être plus abon- dans qu’à Otahiti. Ils ont encore une autre efpèce de pirogues, qui parai/Tent deftinées aux parties de plaifirs & aux fêtes d’appareil. Ce font de grands bâ- timens fans voiles, dont la forme ref- C q, E S S A I femble aux gondoles de Venife J ils élevent au milieu une efpece de toit : ils s’afleyent les uns deffous , les autres deffus. Ces promenades ne Te font que dans les beaux jours, & les Naturels y font parés d’une maniéré diftinguée. Pour ce qui eft de la conftru&ion des pirogues, ils fendent un arbre dans la dire&ion de fes fibres, en planches aufli minces qu’il leur eft poffible, & c eft de ces différens morceaux qu’ils les conftruifent. Ils abattent d abord 1 arbre avec une hache faite d’une efpèce de pierre dure ôc verdâtre, à laquelle ils adaptent fort adroitement un manche. Ils coupent enfuite le tronc, fuivant la longueur dont ils veulent en tirer des planches -, ils brûlent un des bouts, juf- qu’à ce qu’il commence â fe gercer, ils le fendent enfuite avec des coins d’un bois dur. Quelques - unes de ces planches ont deux pieds de largeur, & quinze à vingt pieds de long. Ils en applaniffent les côtés avec de petite sur l'Îsle dOtahiti: 33 haches qui font de pierre. Six ou huit hommes travaillent quelquefois fur la même planche. Comme leurs inftrumens font bientôt émoulfés , chaque ouvrier a près de lui une coque de noix de cocos remplie d’eau , & une pierre polie , fur laquelle il aiguife fa hache pref- que à toutes les minutes : ces planches ont ordinairement l’épaiffeur d’un pouce- Afin de joindre ces planches, ils font des trous avec un os attaché à un bâton qui leur fert de vilebrequin ; mais depuis que les Européens leur ont apporté des clous, dont ils font fort avides j ils s’en fervent avec avantage. Ils paflent dans ces trous une corde tref- fée , qui lie fortement les planches l’une à l’autre ; les coutures font calfatées avec des joncs fecs , ôc l’extérieur du batiment eû enduit d’une gomme que produifent quelques-uns de leurs arbres & qui remplace très-bien l’ufage de la poix. Le bois dont ils fe fervent pour leurs grandes pirogues, eft une efpèce Ci; Maniéré &e pêcher. 2$ Essai de pommier très - droit, ôc qui séîevfi à une hauteur confidérable. Il y en a qui ont jufqu’à 8 pieds de circonférence au tronc jôc 24 à 4.0 de contour a la hauteur des branches. Les plus petites pirogues ne font que le tronc creux d’un arbre à pain , qui eft plus léger & plus fpongieux encore que celui du pommier , qui l’eft déjà beaucoup (a). La principale riviere produit des poif- fons de plufieurs maniérés, ôc de belles écrevifles à peu de diflance de la cote. Les Naturels pêchent avec des lignes ôc des hameçons de nacre de perle , des perroquets de mer, qu’ils aiment fi paf- fionnément , qu’ils ne veulent pas en vendre aux étrangers , malgré tout le prix pofiible qu’on y attache. Ils ont encore de très-grands filets à petites mailles, avec lefquels ils pêchent certains poiflons delà grandeur des fardi- nes {b). - ( a ) Bank ôc Soîand. t. II , p. t 57, * {b) Bsmkôc Soland, c. II, p. 150, SUR L’IsLE D* O TA H 37 Après avoir donné la defcription des Funérailîe» habits de deuil, il faut donner celle des funérailles, qui n’eft pas moins extraordinaire. Les Infulaires appellent les lieux où ils vont rendre aux morts des cultes religieux. Ils font faits en pierre en forme de pyramides, dont la bafe eft un parallélogramme. Ces bâtî- mens ont environ 44 pieds de hauteur. Outre le nombre immenfe de pierres qui entre dans la ftruéfure de ces fortes d édifices, le corail5 blanc y eft employé avec profufion. On eft étonné de voir de pareilles malles conftruites fans inf- taraient de fer pour tailler les pierres, & fans mortier pour les joindre ; cependant la ftrufhire eft aulïi compafle & auffi folide que les édifices d’Europe. Aux environs de ces Mora, il y a des Ewaltaiou petits autels, en allez grande quantité ; ils fervent à placer des pro- vifions de toute elpèce en offrande à leurs Dieux (a). (a) Cook x Bank & Soiand, c, I, C iij j8- Essai Le hangard fous lequel on place le mort, eft joint à la maifon qu’il habitait pendant fa vie. L’un des bouts de ce hangard eft ouvert, ôt le refte eft fermé par un treillage d’ofier. La biere fur laquelle on dépofe le corps mort, eft un ehaffis de bois, le fond eft de la natte, ôc quatre poteaux le foutien- nent ; le corps eft enveloppé d’une natte, & par-deffus d’une étoffe blanche. On place à fes côtés une maffue de bois, qui eft une de leurs armes de guerre; & près de la tête qui touche au bout fermé du hangard , deux coques de noix de cocos, de celles dont ils fe fervent pour puifer de l’eau. A l’autre bout du hangard , on plante à terre, à côté d’une pierre de la groffeur d’un cocos, quelques baguettes féches & des feuilles vertes liées enfemble. Il y a près de cet endroit une jeune plane, dont les Indiens fe fervent pour emblème de la paix, ôc à côté une hache de pierre* Beaucoup de noix de palmiers enfilées SUR lIsLE D’O TAHITI. en chapelet, font fufpendues à l’extrê- mité couverte du hangard , & en dehors les Indiens plantent en terre la tige d une plane. Au fommet de cet arbre 5 il y a une coque de noix de cocos renaît6 d eau douce. Enfin on attache au coté d un des poteaux, un petit fac qui renferme quelques morceaux de fruits à pain tout grillés. On n’y met pas ces tranches dans le même tems , car les unes font fraîches pendant que les autres font gâtées (a). Il paraît que ces alimens font des offrandes qu’ils préfentent à leurs Dieux ; ils ne fuppofent cependant pas que les Dieux mangent, mais c’eft un témoignage de refped & de recon- naiflance, & un moyen de folliciter la préfence plus immédiate de la Divinité. Ces endroits font ornés de ligures grof- fièrement fculptées d’hommes , de femmes , de chiens & de cochons ; les Naturels y entrent de tems en tems d’un 00 Relut.de Cook, Bank & Soland. t. II, 3 jj, Civ pas lent & avec la contenance de la douleur. Le milieu de ces hangards eft bien pavé avec de grandes pierres rondes ; mais il faut qu’ils foient peu fréquentés , puifque l’herbe y croît partout ,(a). Il y a un autre lieu où les païens du défunt vont payer le tribut de leur douleur ; on y trouve une quantité infinie de pièces d’étoffes , fur lefquelles les pleureurs verfent leurs larmes & leur fang ; car dans les tranfports réitérés de leur chagrin, c’eft un ufage parmi eux de fe faire des bleffures avec la dent d’un goulu de mer. os des morts dans un lieu voifin de celui où l’on éleve les cadavres pour les laiffer tomber en pourriture. Il eft impoffible de favoir ce qui peut avoir introduit parmi ces peuples l’ufage d’élever les morts au-deffus de la terre, jufqu’a ce que la chair foit confirmée par la putréfaction , ôc d’enterrer en- (a) Bank ôc Soland. t, II, p. 5 U R L'ISLE D O TAHITI 41 fuite les os. Le principal perfonnage du deuil proféré près du corps quelques mots qu’il récite jufqu’à fon retour chez lui. Les Otahitiens ont coutume de s’enfuir à la vue du convoi, le principal perfonnage refte feul apres la cérémonie. Tous ceux qui ont afïifte au convoi vont fe laver dans la riviere , & prendre leurs habits ordinaires. Cette coutume de fe laver vient de 1 ufage de fe barbouiller de noir depuis les pieds jufqu’aux épaules. Les femmes même fe font cette opération , & font, ainfi que les hommes, dans l’état total de nudité (a). Les bâtimens de guerre confiflent pefcription en une infinité de doubles pirogues de otahltien-6 40 à So Pieds de long, bien équippées, ne- bien approvifionnées ôc bien armées. Les chefs & tous ceux qui occupent les plate-formes de combats, font revêtus de leurs habits militaires, c’eft- à-dire, d’une grande quantité d’étoffes , (a) Relat. de Cook, Bank &-Soland. t. II, P. 393. 42 Essai de turbans ; de cuiraffes & de cafques. La longueur de quelques-uns de ces caf *0 TAHITI. 47 Ces champions ne portent aucun vêtement fuperflu , car ils font prefque nuds (a). Les conquerans emportent les ma-Trophées, choires des ennemis qu’ils ont vaincus, & les réunifient dans un même lieu en les fufpendant dans une efpèce d’enceinte , ainfi que les Sauvages de l’Amérique feptentrionale portent en triomphe les chevelures des hommes qu’ils ont tués (b). Les Infulaires de l’Ifle d’Otahiti s en- Combat» „ , , deluife. tretiennent dans 1 art de la guerre par des combats qui fe font avec une forte d’appareil ; c’eft ordinairement dans une grande place palifladée de bambous, d’environ trois pieds de haut. Le Chef s’aflied dans la partie fupérieure de l’amphithéâtre , & les principales perfonnes de fa fuite font rangées en demi-cercle a fes côtés, ce font les juges qui doi- (a) Cook, t. II, p. 3H- Relat. de Cook, Ba.uk & Soland, t. IJ, p. 4.2j> E S S vent applaudir au vainqueur. Quahd tout eft prêt , dix ou douze hommes , qui font les combattans , & qui n’ont d’autre vêtement qu’une ceinture d’étoffe , entrent dans l’arêne ; ils en font le tour lentement & les regards baiffés, la main gauche fur la poitrine : de la droite , qui eft ouverte , ils frappent fouvent l’avant-bras de la première avec tant de roideur , que le coup produit ¦un fon affez aigu ; c’eft le %ne d’un défi général que fe font les combattans les uns aux autres, ou qu’ils adreffent aux fpeêlateurs. Ils fe donnent des défis particuliers, & chacun choifit fon ad- verfaire. Cette cérémonie préliminaire confifte à joindre le bout des doigts, & à les appuyer fur la poitrine , en remuant en même tems les coudes en haut & en bas avec beaucoup de vîteffe. Si 1 homme à qui le lutteur s’adreffe , accepte le défi , il répété les mêmes lignes ; ils fe mettent tout auffi - tôt K un & l’autre dans l’attitude de combattre. SÏ/R ÜlSLR D’ 0 TAHITI. battre. Une minute après , ils en viennent aux mains. Le grand point eft de faifir Tadverfaire par la cuiife, ou par le bras, les cheveux ou la ceinture, & de le renverfer. Lorfque le combat effc fini, les vieillards applâudiffent au vainqueur par quelques mots que toute l’af femblée répété en choeur fur une e£ pèce de chant, ôclà vidtoire eft ordinairement célébrée par trois cris de joie, auxquels des oreilles européennes auraient de la peine à s’accoutumer. Pendant le combat , on exécute des danfes ôc des chants. Il eft à remarquer que le vainqueur ne montre à fon ad- verfaire aucun figne d’orgueil Ôc de fùfi- fifance, ôc que le vaincu ne murmure point de la gloire de fon rival ; pendant tout le combat, on voit fe foute- nir là bienveillance ôc la bonne-humeur. Ces combats durent environ deux heures , après lefquels il y a un grand repas. Ces fortes de combats reffemblent. alfez ; mais d’une maniéré grotefque, X> Armes. Signes de paix. |o Essai aux combats des Athlètes de l’antiquité (a). Les principales armes des Otahitiens font des maffues , des bâtons noueux par le bout, & les pierres, qu’ils lancent avec la main ou avec la fronde. Ils ont des arcs & des flèches ; celles- ci ne font pas pointues, mais feulement terminées par une pierre ronde. Leur maniéré de tirer eft finguliere : ils s’agenouillent , & au moment où la flèche part , ils laiflent tomber l’arc ; ils ne s’en fervent que pour tuer des oifeaux, & fur-tout des tourterelles aflez graf- fes j dont ils ont une aflez grande quantité (b). Leur maniéré de défigner la paix, efl d’agiter une large feuille verte qu’ils I tiennent en main, en pouffant des acclamations réitérées de Tayo-e. La tige de plantin qu’ils jettent à ceux avec lef- (a) Relat. de Cook, Bank ôt Soiand. t. II, p. $6z, (b) Bank & Solaad. t, II, p. 1A9. SUR lé IS L EdOTâHÎTI. $ I quels ils cherchent à lier amitié , eft un fymbole de paix. Ils font encore difc férens préfens , qui confident en diverses produirions du pays (a). Lorfque les Inlulaires voilins veulent Guerre, former une attaque contre fille, chaque Diftrid d Otahiti, fous le commandement d’un Earée ou Chef, eft obligé de fournir fon contingent de foldats pour la défenfe commune ; & les forces réunies de l’Ille font commandées par Y Earée vahée ou Roi (b). On trouve dans la vie de ces Infu- M laires l’uniformité du bonheur. Ils fe &Vfag-s. lèvent avec lefoleilj ils vont fe laver à la riviere ou a une fontaine ; ils palTent le matin a travailler ou à le promener jufqu a ce que la chaleur augmente ; ils fe retirent alors dans leurs habitations, ou ils fe repofent à l’ombre d’un arbre. La ils s’amufent à lilfer leurs cheveux, occupa- ^ ______ tions. (a) Cook , t. I, p. 500. W Reiat. de Cook, Bank & Soland. t. Il, p. Dij £2 E s S A ! ôù à les pàtfunisr d’huile odorante, ou ils jouent de la flutè & chantent, ou enfin ils écoutent le ramage des oi- féaux. A midi ils dînent ; apres leur repas, ils reprennent leurs travaux ou leurs amufemens domeftiques, & Ion remarque dans cet intervalle une affection mutuelle répandue dans tous les coeurs; les voyageurs ont fouvent joui de ce fpedtacle d’innocence & de bonheur. Les faillies gaies fans malice, les contes /impies , la danfe joyeufe & un fouper frugal amènent le foir. On fe lave une fécondé fois à la riviere, & on finit ainfi la journée fans inquiétude & fans peine. Si l’on faifait un parallèle de cette vie fauvage avec celle des peuples civilifés, quel contrafte ? Où trouverait- on la vraie jouiiïanee ? C eft ce qui refte à penfer ( a). (a) Cook , t. II, p. 360. Les Indiens croient que le repos & le néant font le fondent nt de toutes ch^fes , & la fin où elles SUR l’IsLE La fabrique des étoffes eft un pafle- tems agréable; & la conftru&ion des cabanes & des pirogues, ainfi que les manufactures des outils ôc des armes, font des occupations amufantes, parce que les ouvriers jouiffent du fruit de leurs travaux. Ils paffent donc la plupart de leurs jours dans un cercle de jouiffances variées ôc au milieu d’un pays où la nature a formé des payfages charmans, où la température de l’air eft chaude , mais rafraîchie fans ceffe par une brize de mer ; où enfin le ciel aboutirent. Us regardent donc ï’entiere inaction com- ine l’état te plus parfait &è l’objet de leurs défirs. lis donnent au fouverain Etre le furnam dimmobile. Les Siamois croient que la félicité fuprême confifte à n'être point obligé d’animer une machine, ôc de faire agir un corps. Dans un pays où la chaleur exceiiive énerve ôc accable > le repos eft £ délicieux ôc le mouvement £ pénible , que ee fyftême de métaphylique parait naturel. Malgré cela, plus les caufes phyhques portent les hommes au repos , plus les caufes morales lçs en doivent éloigner. (Montefq. Efp. des Loix, t.I> ?• iI20 Maifons. * JE S S A I eft prefque toujours ferein ( a ). Pour former l’emplacement de leurs cafés, ils ne coupent des arbres qu’au- tant qu’il leur en faut pour empêcher que le chaume dont elles font couvertes ne pourrilTe par l’eau qui dégoutterait des branches , de maniéré qu’en for- tant de fa cabane, l’Otahîtien fe trouve fous un ombrage le plus agréable qu’il fort pofîible d’imaginer. Ce font fur-tout des bocages de fruits fans brouf- failles, & entrecoupés de chaque côté par des fentiers qui conduifent d’une habitation à l’autre. Les maifons ne font pas rangées en villages, mais éloignées les unes des autres d’environ cinquante verges, & environnées de petites plantations. Rien n’eli plus délicieux que ces ombrages dans un climat fi chaud ; il eft impoflîble de trouver de plus belles promenades. Un air pur y circule librement, & les maifons n’ayant (a) Idem, S UR LyIsLE n* O’TAHITI. point de murailles, elles reçoivent les zéphirs 6c les vents du côté où ils foufflent. Il y a d’autres maifons beaucoup plus grandes, qui font bâties pour fervir de retraite à tous les habitans d’un canton. Quelques-unes ont deux cents pieds de long, trente de large & vingt d’élévation : elles font confinâtes ôc entretenues aux fraix communs du Dif- triél pour lequel elles font deftinées ; elles font environnées de paliffades. Les maifons n’ont point de murailles, parce que ce Peuple n’a pas befoin de lieux retirés. Il n’a aucune idée de l’indécence. II Caractère, fktisfait en public à fes befoins, à fès defirs , à fes pafîions fans aucun fcru- pule. Des hommes qui n’ont point d’idée de la pudeur par rapport aux atlions > ne peuvent pas en avoir relativement aux paroles. Audi la conver- fation de ces Infulaires roule-t-elle fur ce qui eft la fource de leurs pîaifirs & les deux fexes y parlent de tout fans- Div 'f6~ E s S A T retenus , dans les termes les plus impies , & agiffent de même. D’ailleurs la douceur de leur caractère fe montre dans leurs regards & dans leurs avions. Ils donnent des marques de tendreffe & d’affedion en prenant les mains, en s’appuyant fur les épaules de ceux qu’ils aiment , ils les embraffent (a), La confiance de ce Peuple , & fa conduite cordiale & familière le montre dans un jour le plus favorable, & l’on eft convaincu, en vivant avec eux, que le reffentiment des insures êc l’efprit de vengeance, tourmentent peu les bons & /impies Taïtiens ('£)»• >----------------- - l {à) Cook 9 t. I , p. joi. (£) Cook 5 t. i, p. j ^ 6. A mefure que les hommes vivent en foçiété f & s aniifènt fous 1 empire des Ioix 5c d’une police régulière, leurs moeurs sadouciiTèiu ; les fentimens d’humanité naiffenr en eux. Les droits ôc les devoirs font mieux connus. La férocité des guerres s’affaiblit; ôc même au milieu des combats , les hommes fe fou* viçnmms de ce qu ils fe doivennnutuellement. Le/àu-= v«ge combat pour détruire, citoyen ppiir çor^ué- SUR L'ÎSLE 23*O TAHITI. Il eft doux de penfer qne la philantropie femble naturelle à tous les hommes , & que les idées fàuvages de défiance & de haine ne font que la fuite de la dépravation des moeurs , qui ne peut exifter chez un Peuple qui n’en a pas même l’idée. On puife la preuve de cette réflexion dans le fait fuivant. Le Capitaine Wallis, le 18 Juin 1767, ayant eu un différent avec les Naturels d’Otahiti, il fit faire feu deffus , il en bleffa & tua un affez grand nombre. Ce bon Peuple quelque tems après oubliant ce défaftre, fit la paix avec le Navigateur Anglais, ôt lui fournit beau- rir. Le premier eft inacceiïible à toute pitié, & n’épargne perfbnne; le dernier a acquis une fènfibîlité qui adoucit fes fureurs. Il eft encore beaucoup de peuples des Indes à qui ce degré de fenübiiité eft totalement étranger. La barbarie avec laquelle ils font la guerre eft telle qu’on ne peut s’empêcher d’en conclure qu’ils font bien imparfaitement civilifés. Cette réflexion eft route à la gloire des peuples d’Otahiti. (Hift. de l’Amer, yar Kobertfon, t. II, p. 288*) $8 E coup de rafraîchiffemens en fruits, eil volailles & en cochons (a). aîÏÏST Malgré ces qualités naturelles qu’on remarque dans le caractère des Otahi- tiens , l’on y obferve aufli des vices dominans ; celui du vol eft le plus général ; ils font les plus grands voleurs & les plus déterminés de la terre. Mais il faut confidérer aufli que ces Peuples , par les Amples fentimens de la confidence naturelle, ont une connaif- fance du jufte & de lin jufte, & qu’ils fe condamnent eux-mêmes , lorfqu’ils font aux autres ce qu’ils ne voudraient pas qui leur fut fait. Il eft plus que certain qu’ils fèntent la force des obligations morales ; & s’ils regardaient comme indifférentes les aétions qu’on leur impute, iis ne feraient pas fl fort agités lorfqu’on leur démontre la fauf RÆexions fêté de l’accufation. On doit fans doute « ce fujet. . juger de la vertu de ce Peuple par la SUR L’IsLE n’O TAHITI. $£ feule réglé fondamentale de la morale,; & par la conformité de leur conduite à l’égard de ce qu’ils croient être jufte. Mais on ne doit pas conclure que le vol fuppofe dans leur caraétère la même dépravation qu’on rencontrerait dans un Européen qui aurait commis ces actions. Leur tentation eft fi forte, à la vue des objets qu’ils croient leur être utiles , que fi ceux qui ont plus de connaiflances, de meilleurs principes j ôc de plus grands motifs de réfifi ter à l’appât d’une aêtion avantageufe & mal-honnête , en éprouvaient unê pareille, ils feraient regardés comme des hommes d’une probité rare , s’ils avaient le courage de la furmonter. Un Indien au milieu de quelques couteaux de la valeur d’un fol, de la raffade, & de morceaux de verre rompu, eft le même état d’épreuves , que le dernier des valets à côté de plufieurs coffres ouverts, remplis d’or & de bi- 6o Essai joux ( O TAHI7 f La plupart des Otahitiens des fexes forment des fociétés bien extraordinaires , où toutes les femmes font communes à tous les hommes. Cet arrangement met dans leurs plaifirs une variété continuelle, dont ils ont tellement befoin, que le meme homme & la même femme n’habitent pas plus de deux ou trois jours enfemble. Si une Cruautés 4 des femmes de cette fociété devientce UJ enceinte , ce qui arrive rarement par raifon phylique, l’enfant eft étouffé au moment de fa naiffance , afin quil n’ernbarraffe pas le pere dans fes occupations journalières , & qu il n inter- fon de ce défordre apparent. Dans les climats du » dit-il, à peine le phyfique de a-t-il la force de Je rendre bienfenfible. Dans les mour accompagné de mille rend agréa ble par des chofes qui d’abord femblent être lui-meme, & ne font pas encore lui. Dans les on aime l’amour pour lui-même, il ejl la caufe unique dit bonheur, il eft la vie. ( Momefcp £fp. des Loix, t.U ?• 3o8< ) 7^ Essai rompe pas Ja mere dans les plaifirs de fon abominable proftitution. Quelque- fois la mere, par fenfibilité, fumionte cette paillon effrénée de la brutalité plutôt que de rinûina ; alors on ne lui permet pas de fauver la vie de fon enfant, a moins qu elle ne trouve un homme qui l’adopte comme étant de Ui j dans ce «s , ils font tous deux €XC us de la fociété, ôc perdent pour toujours tout droit aux privilèges & aux plaifirs de , nom qu’ils donnent a cette fociété infâme »S ,M/fr\Ce qui n’eft pas générai, général Chez ces Infulaires, les femmes d Otahiti, comme l’ont affuré fans on ement quelques Voyageurs , ne ont pas toutes portées à accorder les (fermera faveurs à ceux qui veulent payer. Il eft suffi difficile dans ce pays 3 comme dans tout autre , d avoir (^) Relat. de Cook, Bank & Soland. r. II , p. SUR L’IsLE 77 des familiarités avec les femmes mariées & avec celles qui ne le font pas, lï l’on en excepte toutefois les filles du peuple; & même parmi ces dernieres, il y en a beaucoup qui font chafies. Il eft vrai qu il y a des proflituées} comme par-tout ailleurs ; le nombre en eft peut-etre encore plus grand, & telles font les femmes qui viennent à bord des VaifiTeaux. Il eft certain qu’en les voyant fréquenter indifféremment les femmes chaftes, & les femmes du premier rang, on eft d’abord porté à croire qu elles ont toutes la même conduite , ôc qu’il n’y a entr’elles d’autre différence que celle du prix. Il faut avouer auffi que telle eft leur nature. Une proftituée ne leur paraît pas commettre des crimes allez noirs , pour perdre l’eftime & la fociété des compatriotes. En général, les femmes font toutes verfées dans l’art de la coquetterie , elles fe permettent par ce moyen toutes fortes de libertés dans leurs pro- ^8 Ë pos. Il n eft donc pas étonnant quoi les ait taxé de libertinage ; mais encore une fois, il n’eft pas général (a). Maladies. U y a peu de maladies chez un Peuple dont la nourriture eft fi fimple, & qui en général ne s’enivre prefque ja* mais (b). Ils ont quelquefois la coli- ‘ que, & font fujets aux éréfypeles & à une éruption cutanée de puftules écail- leufes qui approchent de la lèpre. Ceux des Naturels qui font malades , vivent totalement éloignés du refte des habi- (a) Cook , t. I, p. 4$7. ( b ) L ivrognerie, die M. de Moritefquieu., fe trouve établie par toute la terre dans la proportion de là froideur ôc de l’humidité du climat. Paffez de [Equateur jufqu’à notre pôle, vous y verrez augmenter l’ivrognerie avec les degre's de latitude. PalTez du même équateur au pôle oppofé, vous y trouverez l’ivrognerie aller vers le midi comme elle avait été vers le nord* Ce font les différens befoins dans les différens climats qui ont formé les différentes maniérés de vivre parmi les hommes. Les uns boivent parce qu’ils ont trop chaud , ôc les autres parce qu’ils ont trop froid. ( Montefq. Efp, des Loix, 1.1, p. 316.) SUR L’lsLE D*O TAH tans. Depuis que les Européens ont pénétré dans cette Ille , & qu’ils y ont porté la maladie vénérienne, on voit quelques Naturels couverts d’ulcères qui paraiffent virulens ; ils les laiffent a l’air & à la difcrétion des mouches, fans y faire la moindre attention. Il n’y a pas de Médecins dans un pays où 1 intempérance ne produit point de maladies. C’eft pourquoi lorfque l’Ota- hitien fouffre, il a recours à la fuper£ tition , & les Prêtres font les feuls Médecins. La méthode qu’ils fuivent pour opérer la guérifon , confifte en prières, en cérémonies êc en fignes , qu’ils répètent jufqu’à ce que le malade meure ou recouvre la fanté. Leurs connaiffances en chirurgie font connaîflan- alTez étendues ; il n’y a prefque point de g^aies‘rur" Naturel, tel blelfé qu’il foit, qui ne fe guérifle (a). MM. Bank & Solander citent une occafion dans laquelle un (a) Kelat. de Cook, Bank & Soland. t, II, p. 499,’ 8o Essai matelot Anglois s’étant mis une écharde dans le pied , en fouffrait extrêmement ; un vieil Otahitien préfent à cette fcène, examina le pied du matelot , il alla fur le rivage prendre un coquillage qu’il rompit avec Tes dents, & au moyen de cet infirmaient, il ouvrit la plaie , & en arracha l’écharde dans fefpace d’une minute. Il avait apporté une efpèce de gomme qu’il appnqua fur la bleffure, il l’enveloppa d’un morceau d’étoffe , & en deux jours le malade fut parfaitement guéri (ayils ont l’ufage de faigner, mais ce n’eft ni au bras ni au pied ; un Médecin ou Prêtre inférieur , frappe avec un bois tranchant fur le crâne du malade, il ouvre par ce moyen la veine qu’on nomme Sagittale ,& coulé fuffifamment de fang, il ceint la tête d’un bandeau qui affujettit l’ouver- («) Bank & Soland. MI, p. ture : SUR lIsLE ture : le lendemain on lave la plaie avec de l’eau (a). Les Taïtiensfe plaignaient, en 1775, qu’un Vâifleau Européen leur avait communiqué une maladie, qui, à ce qu’ils diraient, affe&ait la tête, le gofier & l’eftomac, & qui enfin les faifoit mourir. Ils paraiffent la redouter beaucoup j & depuis ce tems, ils ont demandé à plufieurs Voyageurs s’ils l’avaient. Ils appelaient cette maladie comme ils appellent la maladie vénérienne Apa-no -pretane ,maladie An- glaife , quoiqu ils conviennent universellement que la Fregate de M. de Bougainville l’a apportée dans leur Ifle. Quoi qu’il en Soit, on pourrait conclure que long-tems avant l’arrivée de quelques Vaifieaux Européens , ces In- fulaires avaient cette maladie, ou quelque autre qui lui relfetnblait beaucoup ; car M. Cook leur a entendu parler Suite des maladies. (a) Boug. t, II, p. m, tz Essai d’indiens morts avant cette époque; d’une maladie qu’il a jugé être la maladie vénérienne. D’ailleurs elle neft pas moins répandue qu’elle ne l’était en 17 69, quand ce Voyageur vifita cesi Ifles pour la première fois (a). Ce qu’il y a de confiant, c’eft qu’en 1767 cette maladie n’avait pas pénétré chez les habitans d’Otahiti. Suivant MM. Bank ôc Solander, aucun homme de leur Equipage n’y contracta la maladie vénérienne ; comme les Anglais eurent commerce avec un grand nombre de femmes , c’eft une preuve évidente que cette maladie n’était pas encore répan* due dans cette Ifle. Bou gainville ou à moi j dit M. Bank, à l’Angleterre ou à la France , qu’il faut reprocher d> avoir infecté de cette une race de Peuples heureux ; mais fai la confolation de pouvoir , fur cet article , d'une maniéré , Ù (a) Cook, 1. I, p. 450. $ÜJR L'IsLE Ô Sj Ma patrie & moi. aveu eft établi fur des Liftes ôc des Journaux loigneu- femeiit tenus ,des malades ôc des morts qu’ont occalîonnées différentes maladies. Là copie eft dépofée à l’Amirauté d Angleterre, ôc lignée par lés conva- lefcens. On y voit qu’excepté un malade renvoyé en Angleterre fur une flûte, le dernier enregiftré pour maladie vénérienne, eft déclaré, par fa flgnature ôc par le rapport du Chirurgien , avoir été guéri le Décembre 17 <5 5, près de fix mois avant l’arrivée de ces deux Navigateurs Anglais à Ota- hiti, où ils débarquèrent en Juin 1767, ôc que le premier infcrit pour la même maladie, au retour , a été mis entre les mains du Chirurgien en Février 1768 , lix mois après que lefdits Navigateurs eurent quitté l’Ifle , d’où ils partirent en Juillet 1767. Le Capitaine Cook, dans fon Voyage lur l’Endea- vour, trouva cette maladie établie dans rifle ; le Voyage de M. de Bougain- Fij / $4 Essai ville a été antérieur au fien : d’après cela, il eft aifé de conclure (a). Connaif- Les Otahitiens ont une lagacité éton« relies*natu<ïi&nte à prévoir le tems qui arrivera, ou du moins le côté d’où foufflera le vent. Ils ont plufieurs maniérés de prû- noftiquer cet événement. Ils difent entre autres chofes, que la voie la&ée eft toujours courbée latéralementtantôt dans une dire&ion , tantôt dans une Sur les autre 2c que cette courbure efl un effet de faétion que le vent exerce fur elle , de maniéré que fi la courbure continue pendant une nuit , le vent correfpondant foufflera le lendemain. Ce principe s’oppofe diamétralement aux idées que nous avons dé la voie lactée , fur laquelle il eft auffi impolTi- ble que les vents aient de l’influence, que fur la puiflance qui la dirige. Mais il fuffit de dire que quelque méthode qu’ils emploient pour prédire le tems , («) Bank & Soland. t. Il, p. j sur l’Isle jp'Otahiti. ou au moins le vent qui foufflera, ils fe trompent rarement. Dans leurs plus Aftrono- grands voyages, ils £e dirigent fur lem,e* loleil pendant le jour, & fur les étoiles pendant la nuit. Ils diilinguent toutes les étoiles féparément par des noms; ils connaiffent dans quelle partie du ciel elles, paraîtrant, à chacun des mois où elles font vifibles fur l’horifon ; ils favent aulfi avec plus de précifion quon ne, le pourra croire, le tems de 1 année, où elles commencent à paraître & à difparaître. Ils divifent le tems par x)jv;£on Malama ou par lunes : ils comptentdu tem» treize de ces lunes y & recommencent enfuite par la première de cette révolution ; ce qui démontre qu ils ont une. notion de l’année folaire. Il eft impof- fible de connaître comment ils calculent leurs mois , de façon que treize de ces mois ont vingt-neuf jours , en y comprenant un de ces jours dans lequel la lune n’eft pas vifible. Ils annoncent , & ne fe trompent gueres, fur F iij le tems qu 11 doit faire dans chacun des mois pour lelquels ils ont des noms particuliers. Ils donnent un nom général a tous les mois pris enfemble, quoiqu’ils ne s’en fervent que lorfqu’ils par- pour le jour, & fix pour la nuit ; chaque partie eft de deux heures. Ils déterminent ces divilîons avec alfez d’e- xaélitude par l’élévation du lorf- qu il eff au-deffus de l’horifon. Il y a encore quelques Naturels plus expérimentés qui pouffent plus loin leurs con- n alliances, en difant à la feule infpec- tion des étoiles quelle heure il eft; mais il y en a peu qui aient ces Ibrtes Nomkes. En comptant, ils vont de un à dix, nombre des doigts des deux mains ; & quoiqu’ils aient pour chaque nombre un nom différent, ils prennent ordinairement leurs doigts un par un , & paff fan*- __• \ 13 * ; ; ;i f I! ’ fia lent des myfteres de leur Religion. Le jour eft diyifé en douze parties , fix de notions. lant dune main '3 ]-auerÇ; ce SUR L’IsLEd’O TAHITI. 87 quils foient parvenus au nombre qu’ils veulent exprimer. Quand ils comptent au-delà de dix, ils répètent le nom de ce nombre , ils y ajoutent le mot : dix ôc un de plus, lignifie onze ; dix 6c deux de plus, lignifie douze , & ainfi de fuite, c’eft l’expreflion verbale des lignes d’algèbre. S’ils arrivent à dix 6c dix de plus , ils ont une nouvelle dénomination pour ce nombre. Lorfqu’ils calculent dix de ces vingtaines , iis ont un mot pour exprimer deux cens. On ne fait s’ils ont d autres termes pour l’expreffion de plus grands nombres ; il ne paraît pas qu’ils en aient befoin : car deux cens dix fois répétés, montent à deux mille ; quantité fi forte pour eux, quelle ne fe rencontre pref- que jamais dans leurs calculs (a). Ils (a) Les Mexicains ont une méthode plus {impie de ddligner les nombres. Ils ont inventé pour cela des caraéberes ou nôtres de pure convention. La figure du cercle repréfeale l’unité. Elle fe répété pour expri- F iv E S S A cannaiffent encore moins l’art de me- furer les diftances, que celui de former des nombres. Ils nont qu’un terme qid répond à notre brafTe : lorfqu’ils partent de la diftance d’un lieu à un autre, ils s’expriment, comme les Afia- tJques, par le tems qu’il faut pour la —ugnes particuliers exprt- ment les nombres plus grands, & il y en a pour A Sooo Ti'Vn0mbreS C3rdiaaUX dePl"‘s -o jufqu'â fours ^ent Vannée en lg mois, chac. > qui tous enfemble fout 360 jours. Ilsontobftrré entière dan!" ^ ^ * ^lotion toute â IWe e""" P i0de’ * °nE ^cinq jour* Ç. Ces cinq jours intercalaires font apnellés nom fynonymç de furnuméraires 0« perduf comme ris n’appartiennent à 3(,cun toute leur durée il ne fe fait aucun travail, ni aucune cérémonie religieufe. Si une différence tant approchée entre 1 année des Mexicains & l’année vraie,prouveoue Z7efZrrté Atten d des 7 Ipéculat.ons aftronomiques ; on peut en dé- *” *7r* *• ”êm' f“ciP. i o,. ,'la,l7"1“' à >«'» connailîànces tfol po.,„„ conclure ,„= rorigin, de ee! “ ete dans un état «arRv j T r r nar rv k P C arbane* (Hm' de l'AmA. pr Kobertfon, t. H, î8^ sur l'Isle b’O8p parcourir. Il y a en France, vers le midi, quelques Provinces où l’on exprime par des heures la diftance des lieux (a). Tous les Voyageurs prétendent que Langa? la langue de ces Infulaires eft facile à apprendre. Toutes les conlonnes aigres & fîfflantes en font bannies , parce que tous les mots finiffent par une voyelle, ce qui les adoucit extrêmement. Il faut une oreille délicate pour diffinguer les modifications nombreufes de leurs voyelles , qui donnent une grande délica- tefTe dans l’expreffion. Uo & Ve font les articles qu’ils mettent devant la plus grande partie de leurs fubftantifs ( b ). La feule difficulté qui fe faffe fentir , confiée dans le peu d’inflexion qu’ont les noms & les verbes. Cette langue a peu de noms qui aient plus d’un cas , êc peu de verbes qui aient plus (a) Relat. de Cook , Bank & Soland, t, II, p. 499, (t) Cook , t, I, p. 303. £0 E S d un tems. Malgré cela , Ils joignent a leurs paroles des geftes fi exprelïîfs, qu un étranger peu facilement comprendre ce qu’ils difent (a). r'1ue' Ces Infulaires n’ont pas pouffé à un >fi haut point de perfeâion l’art de la mufique, que les autres connaiffances. Ils jouent dune flûte de bambou à trois trous ; iis foufflent dedans avec le nez, tandis que d’autres Naturels chantent, Toute la mufique vocale & inftrumen- tale confifte en trois ou quatre notes, entre les demi-notes , & les quarts de notes ; car ce ne font ni des tons, ni des demi-tons. Ces notes, fans variété & fans ordre , produifent feulement une efpece de bourdonnement léthargique , qui ne bleffe pas l’oreille par des fons difcordans , mais qui ne fait aucune impreflion agréable fur l’efprit. Il eft furprenant que le goût de la mufique foit fi général fur la terre., tan- (a) Relar. de Cook, Baok & Salaud, t. II, p. 43a* sur l’Isle d’Otahiti. $1 dis que les idées de l’harmonie font ft différentes parmi les Nations diverfes. Les Otahitiens ont aufïi pour infiniment une efpèce de tambour , fur lequel ils font agir leurs mains 6c leurs doigts au lieu de baguettes (a). Il eft à remarquer que dans les danfes , ces Infulaires obfervent la mefure avec autant d’exaélitude ôc de précifion que les meilleurs danfeurs fur les théâtres d’Europe. Les habitans de cette Ille, outre le Commerce; commerce extraordinaire qu’ils font avec les étrangers par les échanges de cochons 6c de volailles , contre des clous , des plumes rouges , ôc des uf- tenfiles en fer , en ont un continuel avec les Mes voifines qui font à l’eft d’Otahiti. Leur commerce confifie à changer leurs étoffes ôc des provifions de bouche, contre des perles fines 6c des foies de barbets , qui feraient fort pz Essai eftimées dans nos climats* Il eft à ob- fervcr que toutes les graines d’Europe, excepté celles du melon r de moutarde & de creffon 5 y cxoiffent facilement & avec abondance (a). Ce qui contribue le plus à cette efpèce de commerce de ces Infulaires avec ceux des Ifles voifines , c’eft que l’air y étant pur, ceux-ci ne craignent pas de prendre (a) Bougainv. t. HT, p. 88. Les Indiens ont leurs arts, qui font adaptés à leur maniéré de vivre. Notre luxe ne faurait être le leur, ni nos. befoins être leurs befoins. Leur climat ne leu? demande , ni ne leur permet prefque rien de ce qui vient de nos climats. Ils vont en grande partie nuds; le peu de vê-temens qu’ils ont, le pays le leur fournit convenables Ils n’ont donc befoin que de nos métaux , qui leur font infiniment, çffentiels , fur-tout le fer , qui font les figues de valeurs , ôc pour lefquels ils donnent des marchandifes que leur frugalité la na ture de leur pays leur procurent en grande abondance. Ainfi de tous les tems , comme actuellement les Voyageurs qui négocieront aux Indes y porteront des métaux , & n’en rapporteront pas. C’effcà la politique a réfléchir fur le bien ou le mal de cette efpèce de coni* merce. ( Montefq. Efpt des Loix , 1.1, p. 468*) SUR L’IsLE n > S>2 des maladies des autres Infulaires, ôc réciproquement. L'air en général y eft fi pur , que malgré la Chaleur qui eft quelquefois extrême, les alimens s’y confervent plus long-tems que dans des climats où il fait une chaleur également forte. On n’y trouve ni grenouilles, ni crapauds , ni ferpens d’aucune efpèce. Les fourmis ôc les mouches qui y font en petit nombre, font les feuls infeétes incommodes. La partie fiid-eft de l’Ille femble être mieux cultivée & plus peuplée que les autres. Chaque jour il y arrive des bateaux chargés de différens fruits , de forte que les étrangers qui y abordent, y trouvent des provifions en très-grande quantité , & par confé- quent à plus bas prix que dans tout autre canton de fille. Le flux Ôc le reflux de la marée y font peu confi- dérables, ôc fon cours eft irrégulier , parce qu’elle eft maîtrifée par les vents qui y foufflent ordinairement de l’eft au fud-fud-eft , & que ce font le plus Gouverne- Jûent. £4 Ë S S A fouvent dé petites brifes (à). Il y a, à quelque diftance d’Otahiti , une Ifle nommée Bolobola, qui dans l’origine, fuivantle rapport des Naturels, afervi a faire un. lieu d’exil pour les criminels. Cet ufage a duré pendant quelques années ; mais le nombre des exilés s’accrut tellement par les transfuges qui vinrent s’y rendre volontairement, pour fe fouftraire à la punition de leurs crimes , que les productions de cette Ide devenant infuffilantes pour la fub- fîftance des habitans , la néceflité en a fait des pirates. Ils font fouvent en guerre avec les Otahiriens, à caufedes prifes des pirogues qu’ils font journellement {b). Quoique cette caufe foit réellement un manque de bonheur dans la maniéré d etre des Otahitiens , l’on va voir que plufieurs autres caules font pour ces (a) Bank & Soland. t. II, p. 161. (b) Bougainville., t. III, p. IOo. SUR L’IsLE L> 9 f Peuples des motifs encore plus puif- lans de déplaifirs , peut-être même d’ef- clavage, dans la forme de leur Gouvernement , de leurs Loix, de leur Religion. En général, dans ce pays, la fertilité des campagnes allez durable , même pèndant fhiver , peut le difputer aux plus riches payfages qu’ait répandu la Nature fur les diverfes parties du globe. La douceur du climat, & la bonté du fol, qui produit pref- que fans culture toutes fortes de végétaux nourriiïans , femblent alfurer la félicité des Naturels. En confidérant ce qu’eft le bonheur dans ce monde, il n’eft pas de Nation dont le fort pa- railfe plus défirable que celui des Ota- hitiens. La population s’y accroît en proportion de la culture : car plus les moyens de fubfiûov faciles , plus les befoins font en petit qombre, delà l’aifance. On a déjà dit que les plaines & les vallées étroites font les feules parties habitées, quoique la plupart des $6 Ë s s a collines foient très-propres à la culture y ôc capables de nourrir un nombre infini d’hommes. Peut - être que «dans la fuite, fi la population s’accroif- fait confidérablement , les Naturels mettraient en culture les diftriéts qui leur font maintenant inutiles ôc fuper- flus. La diftinétion trop manifefte des rangs, qui fubfifte à Otahiti, n’affecte pas autant la félicité du peuple qu’on ferait porté à le croire. Il y a un Souverain - Général, ôc différentes claffes de fujets, telles que celles d , de Manachouna ôc de Towtow , qui ont quelques rapports éloignés avec le gouvernement féodal. La fimplicité de leur maniéré de vivre , tempère ces diftinc- tions , ôc ramene l’égalité. Dans une contrée où le climat ôc la coutume n’exigent pas un vêtement complet ; ou il eft aifé de cueillir à chaque pas affez de plantes pour en former une habitation décente , commode Ôc pareille a toutes les autres j où, avec SUR L’lsLE ÇJ peu de travail, chaque individu fe procure tout ce qui eft néceffaire à la vie, on ne doit pas beaucoup connaître l’ambition & l’envie. Il eft vrai que les premières familles poffédent pref- que exclufivement quelques articles de luxe , les cochons, le poiflon , la volaille & les étoffes ; mais le défir de fatisfaire fon appétit, peut tout au plus rendre malheureux les individus, mais non pas la Nation. La populace de quelques Etats policés eft infortunée, parce que les riches ne mettent aucun frein à leurs plaifirs : mais à Otahiti, entre l’homme le plus élevé ôc l’homme le plus vil, il n’y a pas cette dif- tance qui fubfifte dans les Etats policés, entre un Négociant & un Laboureur. L’affection des Infulaires pour les Earées , qu’on remarque dans toutes les occafions, donne lieu de fup- pofer qu’ils fe regardent comme une feule famille , & qu’ils refpectent leurs vieillards dans la perfonne de leurs G 5>S Essai chefs, d’où l’on peut conclure que l’origine de ce Gouvernement eft pa» triarchale ; & qu’avant que la conffi- tution eût pris la forme aêluelle, la vertu élevait feule peut-être au titre de Pere du peuple. La familiarité qui régné entre le Souverain & le fujet, offre encore des relies de la fimplicité antique. Le dernier homme de la Nation parle auffi librement au Roi qua fon égal ; il a le plaifîr de le voir auffi fouvent qu’il le délire. Ces entrevues deviendront plus difficiles dès que le defpotifme commencera à s’établir. Le Prince pour donner des marques d’égalité , s’amufe quelquefois à faire les mêmes travaux que fes fujets ; & n’étant pas encore dépravé par les fauffes idées de nobleffe & de grandeur , il rame fouvent fur fa pirogue , fans croire qu’il déroge à fa dignité (a). On ne (a) Les Relations fie la Chine parlent de la cérémo* oie d ouvrir les terres que l’Empereur fait tous les ans. SURL'IsLE D fait pas combien durera une égalité fi heureufe , puifque l’indolence des Chefs eft un acheminement à fa deftrudion, malgré la fertilité inépuifable du fol. Quoique les Towtows chargés de la cul- ture , Tentent à peine maintenant le poids du travail , infenfiblement il s’ap- pefantira fur eux ; car le nombre des chefs & des riches doit s’augmenter en beaucoup plus grande proportion que leur propre claffe , par la raifon feule que les chefs ne font abfolument rien. Cet accroiffement de travail produira un mauvais effet fur leur phyfique, ils deviendront mal conformés, & leurs os On a voulu exciter les peuples au travail par un aéîe public ôc iolemnel. Vanty, rroideme Empereur de la troideme Dynaf- tie, cultiva la terre de fcs propres mains, ôc Ht travailler à la foie, dans Ton Palais , l’Impératrice ôc fcs femmes. ( Hift. de la Chine. ) Chez les anciens Perfes, il y avait un jour de fan? née où les Rois quittaient leur fafte pour manger avec les laboureurs. (Relig. des Perfes.) IOO Essai s'affaibliront, de robufies qu'ils étaient,’ Plus expofés à l’aêtion du foleil, leur peau fe noircira ; en proftituant leurs filles dès le bas - âge aux plaifirs des Grands , la race deviendra infiniment petite. Ces êtres précieux , au contraire, bien nourris & bien entretenus , con- ferveront tous les avantages d’une taille extraordinaire , dune élégance fupé- rieure de formes & de traits, & d’un teint plus blanc, en fe livrant à leur appétit vorace, & en paffant leur vie dans une entière oilîveté. Enfin le pein pie s’appercevra de cet efclavage & des caufes qui l’ont produit , & le fenti- ment naturel des droits de l’homme fe ranimant en lui , il doit y avoir une révolution néceffaire. Tel eft le cercle naturel des chofes humaines ; mais rien n’annonce de fitôt un pareil changement. On ne làurak trop répéter aux Européens, que 1’introduffion des be- foins fa&ices hâtera cette fatale époque. S’il en coûte le bonheur des Nations SUR L’IsLE n’ O TAHITI. ÎOI pour connaître le caractère de quelques individus, il ferait à délirer que la mer du Sud fut reliée inconnue à l’Europe & à fes inquiets habitans (a). Le Roi ell continuellement entouré de confeils judicieux , qui ont une grande part au gouvernement. On ne fait pas au julle jufqu’où s’étend fon pouvoir comme Roi , ni quelle autorité il a fur les chefs ; tout paraît cependant concourir (a) Relaîu de Forfter , Cook , t. I, p. 393. La nature, dit M. .de Montefquieu, qui a donné aux Indiens en général une faiblejfe qui les rend timides , leur a donné aufii une imagination fi vive que tout lès frappa d? Vexcès. Mais comment accorder cette faiblefie avec leurs alitons atroces , leurs, coutumes, leurs pénitences barbares ? Les Indiens de quelqus cantons 5 il en faut excepter- ceux d’Otahiti ôc quelques autres, s'y foumet- tent àr des maux incroyables ; les femmes s'y brûlent elles-mimes , ou_ s'enfevelifient toutes vivantes ; voilà bien de la force pour tant de faiblejje. Mais, cette mime délicat efie d'organes qui leur fait craindre ta mort , fert aufii à leur faire redouter mille câojes plus que la mort, C'efi la mime fenfibilité qui leur fait fuir tous les périls a & les leur fait tous braver. ( Montefq. Efp. des Loix » 1.1, p.310.; G iij io2 Essai à l’état floriflant de l’Ifle. Il eft fâcheux- qu’on connaiffe fi fuperficiellement ce gouvernement ; car on ne fait pas par quelle liaifon & par quel rapport tant de claflfes , d’ordres , de fonctions & d’emplois différens , forment un corps politique. A bien réfléchir , on peut cependant afligner à ce gouvernement, comme on l’a déjà dit, la forme d’une adminiftration féodale ; à en juger fur le rapport des Voyageurs & des Phî- lofophes , elle a de la fiabilité , & fa forme n’a prefque rien de vicieux. Les Eowas ôt les Whannos mangent toujours avec le Roi; excepté les Towtows} il n'y a aucun ïnfulaire qui foit exclus de ce privilège : mais il n’eft point quef- tion de femmes ; elles ne mangent jamais avec les hommes, de quelque rang qu elles Soient. .Malgré cette elpèce d’établiffement monarchique , la per fonne du Roi n’a rien qui puifle le diftinguer , aux yeux d’un étranger, du refie de fes fujets : il eft vêtu d’une sur l’Isle d’Otahiti. 103 piece d’étoffe commune , enveloppée autour de fes reins , de maniéré qu’il femble fuir toute pompe inutile ; il affèéte même de mettre plus de fim- plicité dans fes maniérés, qu’aucun autre des Grands de fa Cour. En général , les Chefs de ces Ifles font plus aimés que craints par le peuple : ne peut - on pas en conclure qu’ils gouvernent avec douceur & équité ? C’eft un ufage parmi les Earèes & les autres Infulaires d’un rang diftingué, de ne jamais fe marier avec les Towtowsi ou dans des claffes inférieures à la leur. Ce préjugé eft probablement une des grandes caufes qui produifent les fo- ciétés appellées Earéoées , où un grand nombre d’hommes & de femmes fe réu- niffent en corps, & mettent en commun leurs époufes & leurs maris. Il eft certain que ces fociétés empêchent infiniment l’accroiffement des claffes lù- périeures , dont elles font uniquement Giv Loi*» 104. Essai composes. Dans ces fociétés, les freres & les foeurs peuvent fe conjoindre La conftitution politique de cette Ifle, ell la meme que celle des Peuples anciens dans beaucoup de maniérés. Les Chefs des Diftricts de Taïti, par exemple , n ont aucun relpefl pour le Souverain par excellence ( ). Ceci revient affez a ce que l’on a toujours penfé , que les hommes parvenus au même de* gré de civilifation , le reffemblent uns les autres plus qu’on ne le croit, même aux deux extrémités du monde. S il furvient des contestations entre les habitans touchant la propriété de terres , le plus fort fe met en poffeffion du terrein contefté ; mais le plus faible porte fes plaintes à ïEcrie, qui, dans tes vues politiques de maintenir l’éga- bté entre fes fujets, manque rarement (a) Cook> '• n, P. }6ÿ. ib) helar. deFoxfier, Cook, t. II, p. 3$6o sur lIsle rf O TAHITI. «d’accorder au plus pauvre la terre qui était en litige (a). Quoique ce Peuple, qui ignore entièrement Part d’écrire , & qui par conféquent ne peut avoir des Loix fixées par un titre permanent , ne paraiffe pas vivre fous une forme régulière de gouvernement, il régné cependant parmi les Naturels une fubordination qui reffemble beaucoup au premier état de toutes les Nations de l’Europe, lors du Gouvernement féodal , qui accordait une liberté licentieufe à un petit nombre d’hommes, & qui foumettait le refte au plus vil efclavage. Il y a quatre dif- férens ordres dans la fociété ; ÏEarèt rahè& ou Roi $ VEarèe ou Baron ; le Manahounis ou vaflal, & le Towtow ou paylan. L’Iile étant divifée en deux péninfules , il y a dans chacune un Earèe rahèe,, qui en a la fouveraineté, Ces deux efpèces de Rois font traités io6 Essai avec beaucoup de refpeét par les Taï- tiens de toutes les clafles ; mais ils ne paraiflent pas exercer autant d’autorité que les E arecs en exercent dans leurs Diftri&s. Les Manahou cultivent terrein qu’ils tiennent du Baron , & les Towtoivs font les travaux les plus pénibles ; ils cultivent la terre fous la direction des Manahounis, qui ne font que des cultivateurs de nom ( ). Ils Vont chercher le bois & l’eau, ils apprêtent les alimens , ôc font auflï le métier de pêcheurs. En général, chacun des Earêes a une efpèce de Cour, compofée des fils cadets de la Tribu, qui ont chacun différens emplois au- (a.) La culture des terres eft le plus grand travail des hommes. Plus le climat les porte à fuir ce travail, plus les loix doivent y exciter. Ainfî les loix des Indes qui donnent les terres aux Princes, & aux fujets la peine de les cultiver, ôtent aux particuliers l’efprit de propriété, augmentent les mauvais effets du climat, c’eft-à-dire, la parefle naturelle & le dégoût du travail. ( Monteiq. Eip. des Loix, 1.1, p. jii.} SUR L’IsLE Z>’O TAHITI*. 107 près de fa perfonne (<2). Il eft d’ufage qu’un enfant foit Souverain pendant la vie de fon pere ; fuivant la coutume du pays , il fuccède en naiffant au titre & à l’autorité du pere. On choifit alors un Régent ; mais le pere du nouveau Souverain conferve ordinairement fa place j à ce titre , jufqu’à ce que fon fils foit en âge de gouverner par lui- même. On s’écarte quelquefois de cet ufage , îorfque le pere du nouveau Souverain a fait quelque a&ion éclatante dans la guerre ; mais pour prévenir 9 par un plus grand mal , les défordres que pourrait occafionner la commune prétention des enfans à fuccéder à la fouveraîneté, il y a une politique cruelle qui les fait étouffer en naiffant {b). Il eft difficile d’appercevoir que fous un Gouvernement fi imparfait & fi greffier , la juftice diftributive foit admi- (a) Relat. de Cook, Bank ôr Soland. r. II, p. fzz* (J?) Relat.de Cook, Bank ôc Soland. t«II, p*4^ rto8 E S S A T niftrée fort équitablement : mais il doit aufli y avoir peu de crimes dans un pays où il eft fi facile de fatisfaire Tes goûts & fes pallions, & ou par con- féquent les intérêts des hommes ne font pas fouvent oppofés les uns aux autres ( a). Les Otahitiens n’ayant ni monnoie, ni ligne fiétif qui lui refîemble, il n’y a donc dans Tille aucun bien permanent dont la fraude ou la violence puilïent s’emparer , & fur lequel elles puifîent exercer leur empire ( b ). On (a) Le peuple des Indes eildoux, tendre, compa- tiffant 3 aulli fes légillateurs ont-ils une grande confiance en lui. Ils ont établi peu de peines , & elles font; peu fcVeres ; elles ne font pas même rigoureuièment executees. Il femble qu’ils ont penfé que chaque citoyen devait te repofec fur Je bon naturel des autres. Heureux climat qui fait naître la candeur des moeurs,, & produit la douceur des loix ! ( Montefq. Efp. des Loix, 1.1, p. 313.) (b) Ce qui afiure le plus la liberté des peuples qui ne cultivent point les terres , c’efl que la monnoie leur eft inconnue. Les fruit* de la chiffe, de la pêche, ae SUR L’ISLE n JOp doit ajouter que par-tout où les Loix ne mettent point de reftri£tion au commerce des femmes ,il y a peu d adultérés de la part des hommes. Ces In- iulaires font voleurs ; mais comme chez eux perfonne ne peut éprouver de grands dommages, ou tirer de grands profits du vol ,il n’a pas été nécef- faire de réprimer ce délit par des châ- timens. Cependant le vol & l’adultère fe puniffent quelquefois , quand les coupables font pris en flagrant délit : dans tous les cas d’injure ou de délit , la punition du coupable dépend de l’of- fenfé. Comme la punition n’eft auto- peuvent s’afTembler en allez grande quantité ni fe garder alTez, pour qu’un homme fe trouve en état de corrompre tous les autres ; au lieu que lorfqu’on a des lignes de richelfes, on peut faire un amas de ces lignes & les diflribuer à qui l’on veut. Chez les peuples qui n’ont point de monnoie, chacun a peu debefoins, ÔC les iatisfait aifément ôc également. L’égalité eft donç. forcée , anÆ leurs Chefs ne font-ils point delpotiques, (Monteiq. Efp. des Loix, 1.1, p. 390») no Essai rifée par aucune Loi , & quil n’y a point de Magiftrat chargé de la vindicte publique , le coupable échappe fouvent au châtiment , à moins que l’offenfé ne foit le plus fort. Cependant un Chef punit fes fujets immédiats, quand ils commettent des fautes à l’égard les uns des autres ; il châtie même les Infulaires qui ne dépendent pas de lui, lorfqu’ils font furpris coupables de quelque délit dans fon propre Diftricl ( a ).Malgré tindtion des rangs eft fi marquée à Ota- hiti , ôc la difproportion fi cruelle, -*• que les Rois & les Grands ont droit de vie ôc de mort fur leurs efclaves & valets ; il y a même une claffe de ces malheureux qu’on choifit pour fer- vir de vidtimes dans les facrifices {b). Religion. Les Moraï, dont on a déjà parlé (a) Relat. de Cook, Bank Soland. t. II, p. (b) Bougainv. t. II, p. i©S. SUR L’IsLE III font autant des Cimetières que des lieux de culte. L’Otahitien approche de fon Moraï avec un refpeâ. & une dévotion incroyables. Il ne croit pas cependant que ce lieu renferme rien de facré , mais il y vient adorer une Divinité invifible ; & quoiqu’il n’en attende pas de récompeniè , & qu’il n’en craigne pas de châtiment , il exprime toujours fon adoration & fes hommages de la maniéré la plus ref peêtueulè & la plus humble. Lorfqu’il approche d’un Moraï pour y rendre un culte religieux, ou qu’il porte fon offrande à l’autel, qui confifte en plumes rouges qu’ils nomment Oora , & qui croilfant fur la tête d’un perroquet verd, font employées comme des fym- boles des Eatuas , ou des Divinités^ dans toutes leurs cérémonies religieu- fes (a), il fe découvre toujours le corps (a) Cook, t. II, p. 371. ii2 Essai jufqu’à la ceinture : fes regards & fort attitude montrent affez que la difpofi- tion de lame répond à l’extérieur. Ces Peuples ne font pas idolâtres ; ils n’adorent rien de ce qui eft l’ouvrage de leurs mains , ni aucune partie vifible de la création ; ils adoptent feulement certains oifeaux particuliers, auxquels ils attachent des idées fuperftitieufes relativement à la bonne & à la mauvaife fortune ; ils ne les tuent jamais, & ne leur font aucun mal ; cependant ils ne leur rendent aucune efpèce de culte (a). (a) Relat. de Cook, Bank & Soland. t. II', p. 51t. Dans quelques tribus des Indes, une des plus gran- des marques d’un refpeét fuperftitieux eft, que ces InS diensne connaiffent point de bonheur plus grand. que celui de tenir en mourant la queue d’une vache. Comme ces peuples croient à la mdtempfycofe, ils s’imaginent que dans cette attitude leur ame paire en direction dans le corps de cet animal, & ils ne peuventpas lui fouhaiter une demeure plus agréable. On fait l’ufage qu’ils font de fes excrémens dans leurs ablutions & leurs purifications. Euffent-ils commis le plus grand crime, ils fe croient fan&ifiés dès qu’ils s’en font frottés depuis les pieds jufqu’à la tête. (Hift. des Inces.) Le SUR l’IsLE d’OtAHITI. I IJ Les Otahitiens croient que lame fub- ïîÛe après la mort; ils imaginent d’ailleurs qu elle erre autour du lieu où l’on a dépofé le corps auquel elle était unie; qu’elle obferve les avions des vivans, 6c goûte du plaifir de voir des témoignages d affection 6c de douleur. Leur religion eft enveloppée de myfteres, 6c défigurée par des contradictions apparentes. Leur langage religieux eft différent du langage ordinaire. Un dit le Capitaine Cook, nous demanda rieufement fi nous avions un Dieu eatua dans notre pays , & fi nous le . Quand nous lui dîmes que nous fions une Divinité invifible qui a créé toutes chofes, & que nous lui adrejfions nos prières, il fut fort content} il fit des réflexions fur nos rèponfes , & il femblait nous avouer que les idées de fes compatriotes correfpondaient aux nôtres en ce points (a). (a) Çook, 1p. H Idées relatives à U Religion, Tout fert à nous convaincre que l’idée (impie & jufted’un Dieu a été connue des hommes dans tous les âges & df ns tous les pays ; & que ces fyftêmes embrouiU lés & abfurdes d’idolâtrie, qui désho* norent l’hiftoire de prefque toutes les Nations, ont été inventés par des im* pofteurs. L’amour de la domination ou le goût du plaifir & de l’indolence inf- pirerent toujours aux Pretres païens li- dée d’aflervir l’efprit des peuples en éveillant la fuperftition. Les Otahkiens imaginent que tout ce qui exifte dans l’univers provient originairement de 1 union de deux etres. Ils donnent à la Divinité fupïeme un de ces deux premiers êtres, le nom de Taroataihétoomoo j ils appellent Tepap& l’autre qu’ils croient avoir été un rocher $ ils ont engendré concurremment & par conjonction les 13 mois & les jours. Ils fuppofent que les Dieux, qui font le foleil & la lune, ont engendré une certaine quantité d’étoiles, & quelles SUR rlsLE ï îlf font multipliées d’elies-mêmes. Ils ont le même fyftême par rapport aux plane? tes (a). Ils fuppofent que les éclipfes doivent être le tems de la copulation. Iis font dans la perfuafion que la plus grande partie de la terre eft placée à une grande diftance à l’orient de leur Ifle, qui a été détachée du continent, tandis que la Divinité le traînait vers la mer , avant de s’être décidé fur la forme & 1 afpeêl qu il devait lui faire pren- dre (b). Ils croient auflî qu’il y a une race inférieure de Dieux qu’ils nomment tatuas iils leur attribuent la for mation du premier homme ; ils étaient males & femelles , car ils prétendent encore que ce premier homme entraîné par l’inftina univerfel à propager fon efpèce, n ayant pas d’autre femelle que fa mere, en eut une fille, & que s’unif- fant avec cette fille ils donnèrent nait (a)Relat. de Cook, Bank & Soland. t. II, p. n+. (i) Boug. ton», III, p. 77. nS Essai fance à plufieurs enfans qui fe multiplièrent pour peupler le monde. Maw- we, qui eft le Dieu des tremblemens de terre, eft le fujet de leur offrande dans leurs repas , au commencement defquels ils mettent à l’écart quelques morceaux de mets préparés. Tano eft le Dieu auquel ils adreffent le plus fouvent leurs prières, parce que c’eft celui qui prend une plus grande part aux affaires des humains. Ces peuples en admettant que l’ame eft immortelle, admettent en même tems deux états de différeras degrés de bonheur. Ils imaginent que les Chefs & les principaux perfonnages de l’Ifle entreront dans le premier rang, & les Naturels d’une qualité inférieure dans le fécond : car ils ne penfent pas que leurs actions ici-bas puiffent avoir la moindre influence fur l’état futur, ni même qu’ils foient connus de leurs Dieux en aucune maniera (a). Ils peu. («) Cook, Bank & Solaad. t. II. p. 5r4- SUR L’IsLE 117 lent que l’Etre fuprême eft trop élevé au-deffus des mortels pour être affecté des adions qu’ils peuvent exercer fur la terre (a). Si leur religion n’influe pas fur leurs,moeurs, elle eft au moins défin- téreffée, ôc le bien & le mal qu’ils , font, proviennent ou de l’inftinêt , ou de leur faibleffe. Par-tout où le penchant de l’homme' à reconnaître , à adorer une Puiffance fupérieure , prend une direction modérée , & fe porte: à admirer & à contempler l’ordre & a bienfaifance qui exiftent réellement dans la nature , l’efprit de fuperftition eft doux. Lorfqu’au contraire des êtres imaginaires , ouvrages de la crainte & de l’indolence des hommes , font fuppofés conduire l’univers, & deviennent l’objet du culte religieux , la fuperftition prend des formes plus bifarres. & plus atroces. <«} Boug. t. III , p. 76. H iij Des Prêues. Sacrifices. i iS Essai Le caractère des Prêtres eft héréditaire dans les maifons ; il appartient aux cadets de famille, & cet état eft répandu dans tous les ordres des familles. Ils font prefque autant refpedés que les Rois mêmes. Toute leur fcience confifte à faVoir les noms des difié- rens Dieux & leurs principaux rangs j 6c à les invoquer. Ils ont aufli plus de lumières fur la Navigation & fur l’Aftronomie que le relie du peuple , & le nom de Tahowa qu’on leur donne, ne fignifie autre chofe qu’un, homme éclairé (a). La Religion de ces Infulaires admet aufli des facrifïces humains. Des hommes criminels accufés de certains crimes , font condamnés à être facrifiés aux Dieux, s’ils n’ont pas de quoi fe racheter. Cela fuppofe qu’en certaines occafions, ils jugent ces fortes de fa- («) Relat. de Cook t Bank & Solasd. t. II , p. 514» SUR L’IsLE dll & y paile quelque tems : en fortant, il annonce au peuple, qu’il a vu le grand Dieu , & converfé avec lui, car ce Pontife jouit foui de ce privilège ; & que Dieu demande un facri- fïce humain ; qu’après avoir réfléchi fur le choix de fa vîêtime , il délire telle perfonne préfente, contre laquelle le Prêtre vindicatif a vraifemblable~ ment quelque grief. On tue fur-le-champ cet infortuné, & il périt aînfi victime du reflentiment du Grand-Prêtre, qui, làns doute au befoin, a allez d’adreffe Hiv i2o Essai pour perfuader que le mort était un méchant (a). Mariages. Le mariage chez ces Peuples n’eft qu’une convention entre l’homme & la femme , dont les Prêtres ne fe mêlent point; il eft cependant un engagement pour la vie. Dès qu’il eft contra&é , ils en obfervent les conditions ; mais fi les parties fe féparent d’un commun accord , dans ce cas, le divorce fe fait avec aufli peu d’appareil que le mariage (b). (a) Cook , t. I, p. 45 j. Les préjuges de la fuperftition , lorfqu’elle eft jointe encore à la haine & à l’idée de vengeance, font fupérieurs à tous les autres préjugés r & fes raifons à toutes les autres raifons. ( Montefq. Elp. des Loix , t. I , p. 391.) (b) Relar. de Cook, Bank & Soland. t. II, p. 510* Il y a cette différence entre le divorce & la répudiation , que le divorce fe fait par un confentement mutuel à l'occafion d’une incompatibilité mutuelle, au lien que la répudiation le fait par la volonté & pour l’avantage SUR lIsLE £)’0TAHITI, I La coutume du pays n’accorde au Souverain qu’une feule femme ; mais elle lui laifle la liberté de le choifir un certain nombre de concubines ( ); Quoiqu'il n’y ait pas de taxe fixée par les Prêtres à la conduite nuptiale, ils le font cependant appropriés des cérémonies dont ils retirent des avantages confidérables , telles que celles provenant de l’ufage de fo piquer la peau , ainfi que l’opération de fendre Opération» la partie fupérieure du prépuce , pour ® ce empêcher qu’il ne recouvre le gland. Cette opération n’eft pas tout-à-fait la même que la circoncifion , qui eft une amputation circulaire qui n’eft pas d’ufage chez ces Peuples. Comme les Prêtres peuvent fouis faire ces opérations , & que c’eft le plus grand dune des parties , indépendamment de la volonté & de l’avantage de l’autre. {Montra. Efp. des Loix, 1.1, p. jéz. ) (a) Boug. t. III, p. 74, jl22 E SS A I déshonneur de n’en pas porter les marques , ces cérémonies peuvent être confédérées comme très-lucratives aux Prêtres, en proportion des facultés & du rang des parties (a). Cérémonie Il eft d’ufage dans t’Ifle , mariage.*0 <ïue ^es premiers momens deftinés au mariage foient employés publiquement. En conféquence les nouveaux époux facrifient à Vénus devant une nom* breufe a/Temblée , fans paraître attacher aucune idée d’indécence à leur action j ils ne s’y livrent au contraire que pour fe conformer à l’ufage. Parmi les fpe&ateurs , il y a plufieurs femmes diftinguées ; & celle qui pré- lide à la cérémonie , donne à la victime des infractions fur les épreuves multipliées qu’elle doit fubîr. En général , quoique les filles qui paffent par ces épreuves foient jeunes, elles (*) Relat, de Cook , Back & Solaad. t. U, p* SUR L’lsLE D3O TAHITI. 12$ rte paraiffent pas toutefois avoir be- foin de confeil (a). Cette cérémonie finguliere peut fervir dans l'examen d’une queftion qui a été long - tems difcutée par les Philofophes : La honte qui accompagne certaines actions que tout le monde regarde comme innocentes en elles - mêmes, eft - elle imprimée dans le coeur de l’homme par la nature , ou provient - elle de l’habitude & de l’ulàge ? Si la honte n’a d autre origine que la coutume des Nations, il ne fera peut-être pas facile de remonter à la fource de cette coutume , quelque générale qu’elle foit : fl cette honte eft une fuite de l’inftinêl naturel, il ne fera pas plus facile de découvrir comment elle eft anéantie ou fans force parmi ces Peuples , chez qui on n’en trouve pas la moindre trace. Cependant en con- (a) Relat. de Cook, Bank & Soland. t, II, p. 374; i2^< Essai fidérant l’homme fauvage dans fes actions & dans fes habitudes, on apper- qoit que la honte ne doit pas exifter dans l’état de pure nature, parce qu’il ne peut y avoir de honte où l’on n’admet point de crime : elle n’eft donc pas imprimée dans le coeur de l’homme par la nature , mais par l’influence des Loix , qui font encore relatives à des raifons de climat. Dans les régions glacées , où les habitans font perpétuellement couverts par tout le corps, de paraître nud comme les fauvages Indiens, ferait regardé non-feulement comme tm a&e extrême, mais encore comme un a£le indécent. Il y a des pays civilifés où les femmes montrent leur bufte en entier ; dans d’autres, elles le cachent précieulement. C’eft un crime énorme à une femme Chi- noife que de montrer fon pied ; en Europe , les femmes emploient l’art pour faire paraître leurs pieds dans * ê sur l’Isle n’Otahiti, i2y ê toute l’élégance de leurs formes. D’a- près cela , on peut conclure que la honte n’eft que relative ; qu’elle n’eft pas dans la nature de l’homme , pui£ qu’il lui faut des Loix pour lui faire connaître & réprimer les excès, qui font les principes de cette honte. Tels font dans les moeurs & le gouvernement des Otahitiens, les traits les plus frappans qui peuvent le faire regarder non comme un Peuple très- civilifé , mais comme un Peuple dont le cara&ère & les inftitutions diffèrent infiniment peu du caraétère & des inftitutions des autres Nations les plus civilifées des Indes. FIN ' -____ ____—