Quand Fakarava formait les cadres des Tuamotu

Au temps du protectorat, l’éducation aux Tuamotu n’est pas une priorité et souvent les écoles n’ont d’école que le nom. Après la Première Guerre mondiale, sur fond de patriotisme, le gouverneur Jocelyn Robert prend à bras le corps la question de l’éducation dans les îles éloignées. C’est ainsi qu’une école centrale est créée à Fakarava pour former les futurs instituteurs et cadres des Tuamotu. Sa directrice Madeleine Moua, épouse Terorotua, a tout consigné.

 

Au temps du protectorat, puis jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’enseignement aux Tuamotu est confié aux missionnaires. Après 1905, et jusqu’en 1914, la politique de séparation de l’Église et de l’État a pour conséquence de délaisser l’instruction des enfants dans les archipels. Après la Première Guerre mondiale, les tensions se sont apaisées entre l’administration et la Mission. Cet apaisement est dû surtout au fait que le gouvernement de la colonie n’a pas les fonds suffisants pour mener une politique scolaire efficace et cohérente, notamment en recrutant des instituteurs et institutrices civils qualifiés (et acceptant de « s’exiler » loin de la capitale !). Quelques missionnaires sont donc subventionnés, avec réticence.

Les populations des atolls sont demandeuses d’instruction pour leurs enfants, mais elles ne voient pas d’un bon œil le départ de quelques-uns pour Tahiti.

En 1919, le Gouverneur Jocelyn Robert, tirant les leçons du conflit mondial qui vient de se terminer, souhaite que le patriotisme demeure profondément ancré dans l’esprit des habitants de la colonie. Il s’indigne de la faible fréquentation des écoles, de l’indifférence de bon nombre de parents. En juillet 1923, le gouverneur demande à l’administrateur de choisir huit îles. Dans chacune d’elles sera construite une école. Dans un premier temps, en vue de diriger ces écoles, un enfant de chaque île, âgé d’environ dix ans, sera envoyé comme boursier pensionnaire à l’école centrale de Papeete. « Dès que votre choix sera fixé, vous ferez prendre aux parents l’engagement de faire suivre à leurs enfants la carrière d’instituteur dans leur archipel d’origine. […] Je compte sur vous pour faire ressortir aux yeux des indigènes les avantages que présentera pour leurs enfants une situation d’instituteur dans leur pays, en même temps que le bénéfice à retirer pour la jeunesse locale du fonctionnement dans leur île d’une école française. »

Mais en août 1923, le Conseil de district de Katiu exprime une autre idée : créer une école centrale aux Tuamotu, en l’occurrence à Fakarava. « L’expérience a démontré, Monsieur l’Administrateur, que les fonds répartis entre divers districts pour y maintenir des écoles étaient de l’argent gaspillé en pure perte. »

L’idée est retenue, et en attendant, des écoles publiques sont créées, avec des « maîtres et maîtresses non pourvus des diplômes réglementaires ». Enfin, le 13 septembre 1927, paraît l’arrêté portant création « d’une école primaire élémentaire de garçons destinée à former le personnel enseignant et les cadres de l’archipel des Tuamotu à Fakarava, sous la dénomination d’École Centrale des Tuamotu. Le régime de l’école est l’internat. […] L’enseignement y est donné en français. La sanction des études est le certificat d’études primaires métropolitain et si possible le Brevet local d’enseignement ».

À la même date, par décision du gouverneur, le couple Terorotua est nommé, elle comme directrice, lui comme instituteur adjoint chargé de l’économat et des enseignements pratiques (travaux manuels, navigation, pêche, etc.).

Des témoignages précieux

 La directrice Madeleine Terorotua (qu’on connaît mieux sous le nom de Madeleine Moua) a rédigé un rapport pour chaque mois de ses années d’enseignement à Fakarava. Les archives ont conservé quatorze rapports pour 1928-1929, et dix rapports pour 1933-1934. Ces rapports sont rédigés à la plume, d’une belle écriture, véritable exercice de calligraphie et comptent plusieurs rubriques (effectif, transformations matérielles, enseignement, état sanitaire, mouvement du port). L’effectif est au départ d’à peu près dix-neuf élèves internes. Mais il atteint vingt-six dans les années 1930, auxquels s’ajoutent sept externes. Les transformations matérielles englobent l’entretien général des bâtiments (salles de classes, dortoir, cuisine, clôtures, mobilier, « réfection de 8 manches pour pioches, en bois indigène »…). L’enseignement y est détaillé : écriture, conjugaison, poésie avec Les fables de La Fontaine, histoire de France, géographie de la France, mais aussi de l’archipel… on y apprend à dessiner une pirogue, un bananier, des motifs de tifaifai… Il y a aussi des « causeries » : celle de février 1933 porte sur ce qu’il serait bon de faire pour améliorer le sort des Paumotu, avec en conclusion « Santé meilleure et race plus forte, surtout goût du travail et amour de la terre ».

L’enseignement professionnel comporte des travaux manuels (placards, tables) et des travaux agricoles (débroussage, jardinage).

La directrice est attentive à l’état sanitaire de ses élèves, ainsi qu’à celui de la population. Elle fait état d’une épidémie de rougeole du 5 au 28 janvier 1929. (Elle a pu soigner de nombreux malades grâce aux « conseils reçus des docteurs ».) « L’instruction physique, écrit-elle en 1929, l’habitude du travail, fortifient énormément ces jeunes enfants qui augmentent normalement de poids, en général ; et qui surtout résistent mieux aux grippes apportées souvent par les bateaux. Ce n’est pas le même cas chez les adultes et les enfants du village. Je suis bien contente de ce progrès, car, pendant la 1ère année scolaire, ils toussaient facilement. Les Paumotu, je crois, ont l’appareil respiratoire assez faible. »

Dans l’ensemble, elle est satisfaite. Elle surveille la provision d’eau dans la citerne et passe régulièrement commande de médicaments. Elle a organisé son école « comme un chantier, où dès le lever, petits et grands emploient bien leur temps, pour prendre leur envolée à 16 h 40 pour la promenade journalière ». Madeleine Moua demande, à la fin des années trente, à revenir enseigner à Papeete. Les rapports la concernant sont particulièrement élogieux.

Texte : note de Michel Bailleul – Fonds du gouverneur 48W 676-677
           

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